Merry Christmas
C’est mon second Noël en Asie. Contrairement à Penang, en Malaisie où j’étais l’an dernier, il y a, à Da Nang, de nombreux sapins de Noël et des décorations représentant cette période. Cela rien d’étonnant. La Malaisie est majoritairement musulmane et au Viêtnam, le christianisme est la seconde religion du pays. Issue de l’évangélisation menée au XIXe siècle, la communauté chrétienne représente, dans ce pays bouddhiste, environ 6-7 % de la population, soit un peu moins de 6 millions de Vietnamiens. Cette représentativité en fait le second pays catholique d’Asie du Sud-est après les Philippines. À noter que les provinces où la communauté est la plus forte sont dans les provinces de Ninh Binh et Nam Dinh, dans le Nord du pays.
Aussi, nombre d’églises sont ornées de guirlandes lumineuses et ont installé une crèche.
En me baladant, je rencontre des enfants répétant le spectacle de Noël avec des costumes d’anges. Le contraste de traditions et de cultures est saisissant. Pour la plupart des Vietnamiens, Noël ne représente rien. Ils attendent Têt, la fête du nouvel an vietnamien, le 12 février prochain. Pour d’autres, c’est une fête païenne, un symbole occidental et une occasion de se retrouver et de faire la fête. Enfin, pour les derniers, c’est une vraie fête religieuse.
J’ai le sentiment particulier d’être ici et ailleurs. Certains chants de Noël américains allant de Franck Sinatra à Mariah Carey dans les centres commerciaux et les cafés, les serre-têtes à branches de rennes me ramènent au marketing venu des Etats-Unis. Cependant, les sapins en bambou, en bonsaï, l’adaptation vietnamienne de cette fête me la fait découvrir sous un nouveau jour, avec un regard d’enfant curieux et espiègle.
Cependant, avec les nombreux typhons ayant ravagé le centre du Viêtnam cette année, la pluie incessante depuis plusieurs semaines, le froid humide et la pandémie, une morosité ambiante s’est installée. Cette fameuse magie de Noël, dont tous les films de la période nous parlent, ne semble pas, à première vue, s’inviter.
Il faut aller au-delà de cette première impression pour se mettre dans l’ambiance. Il faut se rappeler ce que symbolise Noël avant que ce soit une profusion de mets et de cadeaux. Pour moi, c’est le partage, l’amour, la bienveillance, les sourires, les yeux qui pétillent, la famille et les biscuits. Si j’analyse ces aspects, Noël est bien là et peut-être même 365 jours par an au Viêtnam. Le partage, la bienveillance, les sourires sont quotidiens.
Alors à défaut de sillonner la ville à moto, je reprends l’habitude de marcher le nez au vent. Certes, en Asie, ce n’est pas ce qu’il y a de plus courant, mais cela me permet de m’arrêter sur les petites choses.
La première, ce sont les églises parées de lumière. À chaque fois, le clocher attrape mon regard. Sa forme, sa hauteur. Pourquoi ? Rien de vraiment conscient, mais le sentiment que c’est une curiosité. Souvent, en Asie, les édifices récents me semblent hétéroclites compte-tenu de leur environnement. Que ce soit aux alentours de rues bouillonnantes de l’activité de street food ou au détour d’une place un peu à l’écart, le bâtiment semble posé comme hors du temps et hors du contexte géographique.
Peut-être est-ce dû au fait que le régime du pays voyait d’un mauvais œil tout ce qui émanait de la colonisation. Cela me rappelle une discussion avec un ami vietnamien. Il m’expliquait que tout regroupement religieux ou intérêt pour des cultures étrangères subissait une très forte répression. Ainsi, considérée comme une fête venant de l’extérieur, célébrer Noël était « surveillé » voire « interdit ». L’ouverture au monde extérieur ne s’est initiée que récemment : en 1986 avec la réforme économique du « Doi Moi » (politique du « Renouveau ») puis en 1994 avec la levée de l’embargo américain. Aussi, voir les églises ainsi agrémentées me semble exprimer une forme d’ouverture, de cohérence et d’intégration dans le paysage urbain.
En second, ce sont les décorations kitches et ultra colorées qui attirent mon attention. Vous me direz nous sommes en Asie. C’est un peu cliché. Mais il est vrai que depuis que je voyage dans cette partie du monde, j’ai souvent remarqué que plus l’ornement était, selon nos critères, « vieillot » plus il était apprécié. Les parures et illuminations de Noël ne font pas exception. Partout des guirlandes sont accrochées pour attirer le regard. Plus les couleurs sont criardes, plus elles sont « tape-à-l’œil » et plus les Vietnamiens s’arrêtent pour faire des photographies. Aussi, j’observe amusée, enfants et adultes en pleine séance de selfies avec un bonhomme de neige en plastique, un Père Noël, son traîneau et ses rennes ou encore devant un sapin de plusieurs dizaines de mètres de haut installé à l’entrée d’un grand centre-commercial. Parfois, certains magasins ajoutent de la neige synthétique pour donner une impression de froid. Or, même s’il fait froid et humide en ce moment, il fait encore 18 °C. Autant dire que la plupart des Vietnamiens ici présents n’ont jamais fait un bonhomme de neige ni vu la neige de près. Mais cela fait partie du folklore.
Je me rends compte à quel point, leur perception est hollywoodienne. C’est l’une des premières fois que je le perçois aussi clairement surtout chez les jeunes. Coiffés d’un bonnet du père noël, de serre-têtes, de vêtements rouges…, ils chantent à tue-tête : « It’s Beginning To Look A Lot Like Christmas » reprise par Michael Bublé, « It’s the Most Wonderful Time of the Year » de Andy Williams et tant d’autres « standards » de Noël. Cela les met en joie… Leur plaisir rayonne.
Peut-être aurais-je eu une vision plus spirituelle si je m’étais trouvée sur le parvis de la Cathédrale de Saigon ou de Hanoi. Mais j’avoue que le sourire des Vietnamiens dans des décors sortis parfois tout droit de Disney symbolise une forme d’esprit de Noël moins traditionnelle mais vivante et vibrante de joie, de partage…
Enfin, le troisième aspect concerne évidemment le business. Nombre de restaurants ou de bars organisent des soirées pour le réveillon ou des brunchs pour le jour de Noël, même si le 25 décembre est un jour comme un autre. Certains réouvrent juste pour l’occasion. L’année a été difficile économiquement parlant. Bien sûr, le Viêtnam peut se vanter de sa politique de lutte contre le covid lui permettant d’être globalement en croissance. Mais au niveau individuel, nombreux sont ceux qui ont perdu leur travail, ont dû fermer leur commerce, sont retournés dans leur famille pour limiter les dépenses, attendent des jours meilleurs… Alors, même s’ils restreignent leurs dépenses pour célébrer la fête du Têt, ils sortent dans la rue, partagent un café, une bière, un repas au son des karaokés qui battent leur plein. Ici, Noël se fête dans la rue.
De mon côté, ce Noël est celui d’un mélange de traditions : un Noël en me baladant pour m’imprégner des lumières chatoyantes, d’une tout autre ambiance et de la cacophonie des musiques diverses, un Noël 2.0 avec mes proches et un Noël aux saveurs françaises : foie gras, saumon et fromages et vietnamiennes : des feuilles de patates douces et une soupe de nouilles.
Je garde de ce moment l’essentiel :
La richesse de la diversité, le partage et le pouvoir d’un sourire.