Kuala Lumpur
Sous le déluge et le tonnerre assourdissant, j’arrive à la gare routière de Kuala Lumpur, KL. Tout semble me dire : « passe ton chemin ». Les personnes croisées me mettent en garde concernant KL : pickpocket, vol à l’arraché, drogue dans le verre… Ils me disent également que c’est une ville moderne sans attraits.
En rejoignant mon auberge, je ne sais vraiment pas à quoi m’attendre pour les trois jours à venir.
D’ailleurs, mon hostel est en fait un appartement où backpackers et propriétaires vivent ensemble. C’est étrange et chaleureux. Je suis accueillie par Joshua, un jeune balinais de vingt ans. Il connait très bien KL. C’est la sixième fois qu’il y séjourne. Il me rassure. Les mesures de sécurité sont les mêmes que dans n’importe quelle autre grande mégalopole. Il me propose de me faire découvrir la ville. Nous partons en direction des tours Petronas. Ces tours jumelles sont le symbole de la ville. Le style architectural est moderne et épuré. Un pont de verre relie les deux tours. Elles sont extrêmement photogéniques. L’extérieur est d’ailleurs plus majestueux que la vue du 88ème étage.
Puis nous poursuivons notre balade par le parc de KLCC, ses fontaines et ses jeux de lumières avant de nous perdre en direction de Alor street, la rue de street food la plus connue de KL. Des restaurants à perte de vue. Ils proposent des plats chinois, thaï, des barbecues, du durian, des fruits et toutes les spécialités de la région. Il y a foule. Nous nous frayons un chemin entre locaux, touristes et rabatteurs. Dénicher un endroit qui nous séduit n’est pas une mince affaire. Le choix est immense. Chaque restaurant ou kiosque semble identique et pourtant différent. Les odeurs épicées, de bouillon, de friture, de charbon de bois sont à chaque fois une nouvelle incitation à la découverte. Nous optons pour un barbecue. Nous avons pu choisir chacune des brochettes que nous voulions entre viandes, poissons et légumes. Un régal !
Tout au long de notre ballade, Joshua me parle de lui. Il fait des études de dentiste. Paradoxalement il a été invité à KL pour une convention politique. Il est fier de me montrer sur son smartphone des sénateurs, des administrés, des ministres avec lesquels il a posé. Je n’en connais aucun, je le crois sur parole. Nous discutons de son sujet favori : Bali. Bien qu’il ait voyagé, tout est meilleur à Bali et précisément à Canggu. La nourriture (nasi goreng), la bière (bintang), la culture, la vie, le confort, rien ne supporte la comparaison.
Quand nous rentrons à l’auberge, une backpacker allemande, Janine, est arrivée. Joshua recommence son sempiternel refrain sur les beautés de Bali. Cela nous fait tous beaucoup rigoler et nous le surnommons Bali. Ce surnom perdurera bien au-delà de son départ.
Le lendemain, je me rends au Batu Cave. C’est le sanctuaire hindou le plus grand hors d’Inde. J’accède à la grotte principale par un grand escalier. Elle est gardé par une impressionnante statue de Murugan, le chef des armées célestes, entièrement peinte en or. Une fois entrée, je suis saisie par la taille de la grotte. A l’intérieur deux temples. De nombreux fidèles sont présents et font des offrandes. Le mélange d’odeurs d’encens, d’humidité, de pieds, de macaques se mêlent dans une demi-pénombre aux prières des pèlerins. Ce cumul de sensations associé à la chaleur me donne des hauts le cœur. Je termine chancelante. Je vais prendre l’air.
Puis je rentre à l’auberge et je retrouve Janine. Elle attend son frère qui vient fêter Noël avec elle. Elle ne veut pas visiter KL sans lui. Alors, elle m’apporte son aide dans la sélection de mes photos. L’objectif : réduire à moins de dix pour cent de photos prises. Cette complicité autour d’un « YES / NO Questions » nous permet de nous connaitre. Nous parlons de nos emplois respectifs, des difficultés rencontrées en tant que femme dans le monde professionnel et en voyages, de nos rêves.
Nous rejoignent dans la maisonnée, deux allemands, Jannis et Frantz, un polonais, Wojtek, et un français, Quentin. Sans que nous en ayons vraiment conscience, nous commençons à fonctionner comme une famille. On s’enquiert des activités des uns et des autres. On s’attend pour diner ensemble. On prépare le petit déjeuner. Je retrouve le plaisir de cuisiner et de partager des moments simples autour de jeux de cartes ou de promenades.
Avec Janine, nous faisons des tatouages au henné à Little India. Avec Frantz et Quentin, je visite le Palais du Sultan Abdul Samad et son parc, la grande mosquée de KL, Chinatown et sa fameuse rue Petaling. Sur un coup de tête, nous allons, Quentin et moi, à la tour Menara. C’est la tour de communication de KL de 421 mètres de hauteur.
A la veille de mon départ, Janine ne nous rejoint pas pour diner. Quand nous rentrons, je la retrouve fatiguée, en colère voire choquée. Elle me raconte sa journée. Elle voulait aller dans les centres commerciaux pour trouver un cadeau pour son frère. Toute la journée, elle s’est faite harcelée par des hommes européens et locaux lui demandant son numéro de téléphone, la suivant, lui proposant de venir dans leurs auberges gratuitement. Elle voyage depuis plusieurs mois. Cependant c’est la première fois que ces comportements sont aussi insistants. Nous discutons longtemps toutes les deux puis nous rejoignons notre appartement. Janine explique à Wojtek et Quentin ce qu’il s’est passé. Ils sont heurtés. Ils essaient de cacher leur gêne par de l’humour. Nous discutons ensuite de la place de la femme, des droits, du devoir de ne pas être une victime. C’est un sujet de société aujourd’hui en France et partout dans le monde. Quand Amanda me demande si je pars bien le lendemain, je regarde Janine. Elle me dit avoir peur de sortir à nouveau toute seule. Alors, je lui propose de rester un peu plus longtemps. Avec un grand sourire, elle accepte.
Nous sommes dans un appartement de KL mais nous aurions pu être ailleurs. La dynamique aurait été la même. Cette humanité, ce besoin de connexion, de famille, de repères, de solidarité est universel.