RDV à Koh Phi Phi
Lorsque j’imagine mon itinéraire au printemps 2019, Koh Phi Phi n’en fait pas partie. Je ne sais pas non plus où je serai le 31 décembre. Quelque part en Asie du Sud-Est. Mais où ? Avec qui ? Pas de réponse.
Pourtant, cette question du nouvel an, on se la pose tous les ans. Que faire pour immortaliser le changement d’année et son lot de bonnes résolutions et de souhaits ?
Cette année, pas de pression. Je verrai en fonction du lieu et de mon humeur.
C’est là qu’intervient la magie des voyages et des rencontres. Je rencontre David, un colombien, étudiant en médecine, à Singapour. Nous passons trois jours ensemble à arpenter la ville. La veille de notre départ, David pour Bali et moi pour la Malaisie, une idée commune émerge. Si on passait le nouvel an ensemble ?
David rejoint un ami, Flavio, à Bangkok le 26 décembre. Ils souhaitent aller dans les îles thaïlandaises. De mon côté, je remonte la Malaisie.
Nous prenons une carte pour identifier un atoll sur nos deux chemins. Phuket est trop connoté. Pourquoi pas Koh Phi Phi ? C’est une île pour faire la fête. C’est parfait pour un 31. Nous scellons notre accord une « Tiger » à la main.
Depuis mon départ de France, je ne prévois rien à plus de 24 ou 48h. Seule la date du 25 janvier 2020 à Bangkok est calée de longue date. Celle du 30 décembre 2019, à Koh Phi Phi, est maintenant la seconde.
A J-3, soit le 27 décembre, je réserve mes ferrys pour arriver à bon port le jour dit. Mon plan est le suivant :
- Le 28, je prends le ferry à 8h30 entre George Town et Langkawi. Arrivée prévue à 11h30/12h
- Toujours le 28, je prends le ferry à 14h30 entre Langkawi et Koh Lipe – arrivée prévue à 15h (heure thaïlandaise).
- Le 29, je plonge.
- Le 30, je prends le ferry à 9h, j’arrive à 13H30. Je retrouve David en début d’après-midi.
Comme prévu, le 28, je suis à 6h45 au terminal de George Town. A 7h, une jeune femme de la compagnie de ferry s’approche des premiers arrivés. Elle nous explique que le bateau a une avarie technique. Il ne pourra pas partir avant 13h. Deux possibilités s’offrent à nous : attendre 13h ou se faire rembourser. Elle indique que nous pouvons prendre un bateau rapide (1h30 au lieu de 3h de traversée) à Kuala Kedah à 80km. Il y a des départs toutes les heures.
Je me dirige vers elle et lui explique ma situation. Je lui demande si mon deuxième billet est remboursable. Elle me répond par la négative.
Je regarde sur Grab, équivalent asiatique de Uber. La course coûte entre 200 et 280 ringgit malais (45 / 60 euro), soit 2 fois le prix de mes deux ferrys du jour. Je m’apprête à revoir mes plans quand une famille égyptienne commande un taxi. Je demande à me greffer. Ils acceptent. Mon plan de départ reprend vie.
La conductrice du taxi est ravie. C’est la première fois qu’elle a une course aussi lointaine. Elle met son GPS. Elle nous indique qu’il y aura des suppléments car il y a des péages. Le père de famille accepte. Nous démarrons. Si tout se passe bien, nous serons à Kuala Kedah à 9h. Je pourrais prendre un ferry à 10h. Mon plan tient la route.
Nous arrivons à 8h45. Je me précipite pour connaitre l’heure du prochain bateau. 11H30 !
La famille et moi sommes dépités. Je demande un bateau plus tôt. Il n’y en pas. Nous pestons : « Un ferry toutes les heures…c’est garanti ! » – « Mon oeil ! »
Je prends mon billet et je pars m’assoir dans la salle d’attente. Il fait une chaleur étouffante. Les grands ventilateurs accrochés au plafond brassent de l’air chaud. Les quelques chaises sont prises d’assaut. Je m’assois par terre. Au fur et à mesure, nous nous entassons dans cette salle. Il y a des têtes à perte de vue. Combien sommes-nous ? peut-être 400, 500 ? Une certitude, tout le monde ne tiendra pas dans un seul ferry. Les minutes puis les heures passent. Rien ne bouge.
Vers 11h, l’impatience se fait sentir mais les portes restent closes. Des officiels passent devant nous, sans un mot. Quelques minutes plus tard, nous voyons un bateau arriver. Le temps de faire débarquer les passagers, c’est à notre tour. Dès que les portes s’ouvrent, les gens se ruent. Ils poussent, écrasent les pieds, jouent des coudes, hurlent, bousculent. Chacun veut arriver le premier. Evidemment, les places ne sont pas numérotées. Je suis le mouvement.
Nous sommes presque arrivés quand nous sommes répartis entre deux bateaux. Il semble qu’il y ait une différence entre les deux. Mais laquelle ? Je prends le contrôleur de ticket à partie. J’essaie de l’attendrir au maximum. J’en fait des tonnes avec un air des plus désespérés. Je le supplie de me mettre dans le bateau qui partira le plus vite. Il me dit de patienter. Je regarde pendant la demi-heure suivante, la file d’attente être dispatchée.
Quand il ne reste que quelques personnes, je rejoins le contrôleur de ticket à chemise à carreaux blanche et noire. Je lui demande : « Et moi ? » . Il me répond : « Tu viens dans mon bateau ». Je le suis.
L’équipage me demande mon sac, mon ticket, ma place… Je cherche du regard la chemise à carreaux. Je leur indique de voir avec lui. Il leur dit quelques mots. Je n’entends pas. Il me demande de le suivre. J’obtempère.
Nous passons deux salles. Puis, il passe une porte et me demande d’ôter mes chaussures. J’hésite en franchissant la porte. Où vais-je atterrir ? Je ne vais pas être à fond de cale, nous avons monté des escaliers.
Franchissant fébrilement le sas, j’écarquille les yeux quand je comprends où je suis.
Bienvenue dans la salle des commandes. Ce type qui n’en a pas l’air est en fait le Capitaine !!! Avec un peu de chance, mon plan n’a pas encore coulé.
Le capitaine et son second m’expliquent le fonctionnement du ferry. Je profite du paysage et nous échangeons dans un anglais approximatif.
A 14h10, alors que j’avais presque oublié toutes les frasques que j’avais pu dire pour bénéficier d’un traitement de faveur, nous entrons dans le port. Il demande à son équipage de me faciliter la sortie pour que je puisse prendre mon autre ferry. Cette fois-ci, je joue des coudes. A la guerre comme à la guerre ! Je m’extirpe du bateau à 14h15. Je fonce vers mon autre ferry. Je trouve un officiel sur le chemin. Je dois m’enregistrer. Il m’indique le chemin. Je ne comprends rien et je repars. Je croise un type qui me hurle « Koh Lipe ? » « Yes ». « Hurry up !! Hurry up !! – Upstairs !! Upstairs ! ». Je monte les escaliers. Haletante, je donne mes papiers.
Il est 14h32. Je suis enregistrée.
Je redescends. Je parcours aux pas de course de nouveau tous les couloirs. Une fois arrivée à la zone d’embarquement, j’apprends que le ferry a une demi-heure de retard. Je me mets dans la file d’attente. Plus rien n’a d’importance. J’ai réussi. Je vais avoir mon second ferry. Mon plan a la peau dure.
J’arrive à Koh Lipe à 17h extenuée et la goutte au nez. Je commence à tousser. Je me rends à mon auberge. Une bonne nuit de sommeil et demain plonger ? Non. Mon plan aura quand même pris un peu de plomb dans l’aile.
Après 24h de récupération, je suis prête pour deux nouveaux ferrys. Ils ont évidemment tous deux du retard. Le trajet de 3h entre Koh Lipe et Koh Phi Phi dure 5h30. Ce n’est pas grave, je lâche prise.
Mon plan en a vu de toutes les couleurs. Il a finalement tenu bon grâce à une bonne dose d’énergie, une pincée de théâtre, une cuillerée de gentillesse et une louche de chance…
Le nouvel an et les îles du Sud nous attendent, David, Flavio et moi… Nous allons pouvoir de nouveau planifier RIEN.