Attendre, tenir et espérer.
Au 1er avril 2020, le confinement total commence. Je suis bloquée dans ma chambre d’hôtel à Kon Tum pour quinze jours. Cela fait 360 heures, 21 600 minutes.
Dans les premières heures, telle une enfant, je m’imagine une aventure incroyable. Des souvenirs où j’avais créé tout un univers dans ma chambre d’enfant ou dans mon salon me reviennent. Un tipi, une tente faite de draps et maintenue avec un étendage et ma bibliothèque … Il y a quelques années, j’avais voyagé aux portes du désert depuis mon salon. J’avais installé une tente Quechua, collée des étoiles phosphorescentes, mis des serviettes en guise de tapis et préparer des mezze. Pas de lumières, ni d’électricité. Quelques bougies de-ci de-là pour imiter les braises incandescentes et le feu pour se réchauffer. Une soirée sous la voie lactée à voyager, humer le parfum de folie qui m’avait fait transformer mon habitat en refuge Touareg et profiter différemment de l’espace-temps.
Aussi, je découvre le lieu de mon confinement avec sourire. Quelles aventures m’attendent dans ce 12m2 ? Devoir faire du camping, tester les nouilles instantanées, vivre cette expérience inédite. Cela m’amuse.
Je m’imagine donc dans un Far West moderne, loin de toute civilisation. Je ne peux pas entrer en communication avec la population avoisinante. Sortir de mon bunker est dangereux. Des bandits de grands chemins guettent. Telle une pionnière retranchée, je dois faire avec les moyens du bord pour bricoler, laver, cuisiner. Pas de ressources extérieures possibles.
Les premières heures sont colorées par mon imagination fertile. Laver mes affaires dans mon mini lavabo devient une expédition dans un lavoir du XIXe siècle. Casser en deux, je frotte, je lave. Je bats mon linge et j’essaie de le faire sécher avec une corde à linge improvisée. Cuisiner à l’aide d’une bouilloire est bien plus rapide que partir à la chasse et à la cueillette de baies. Cela dit, la parfaite cuisson de nouilles instantanées n’est pas si évidente lorsque l’on n’a pas de passoire pour les égoutter. Le goût trop salé, trop épicé, le manque de goût ou parfois l’odeur proche de la pâtée pour chien nécessite aussi d’avoir des papilles ou un odorat mis au rebus. Alors, comme une gosse, je commence évidemment par ce qui me fait envie et surtout par ce qui est bon : les fruits, les yaourts et les céréales. Puis, quand on a faim ou simplement un choix limité, il est impressionnant de constater tout ce que l’on peut ingérer. Tout aussi saisissant, la vitesse avec laquelle on s’habitue à manger pour subsister en oubliant toute les notions de gastronomie et de cuisine. Dans mon cas, je n’ai pas vraiment le choix, ce sera nouilles ou nouilles. La variation se joue entre goût crabe ou goût bœuf.
Dans mon abri du Far West, je n’ai cependant ni vaches à traire, ni travail dans les champs, ni couture… Alors, pour passer l’ennui, je m’abreuve de films et de séries que je n’avais jamais regardés. Au fur et à mesure, mon rythme se décale. Je vis la nuit et dors le jour. Je deviens une chouette. Il est vraisemblablement moins angoissant d’être enfermée dans une chambre la nuit que le jour. J’attends que le temps passe. De plus en plus mon imaginaire s’estompe pour laisser place à la réalité : je suis confinée sans possibilité de sortie et sans savoir si la durée sera limitée à deux semaines.
Alors, après ces premiers jours, l’enfermement que je ressens est davantage psychologique que physique. Je suis bloquée. Cloitrée. Pas d’envie, pas d’énergie. Les seuls trajets sont ceux de mon lit à ma salle de bain. Il y a exactement douze pas. Parfois une variante, je m’installe à la mini table en face de mon lit, deux pas. Ma famille et mes amis me disent que je dois m’instaurer une routine pour sortir de ce cercle vicieux : nouilles / Netflix. Alors, j’arrache une page de mon cahier et j’établis un planning : sport, cours d’anglais et d’espagnol, écriture…. Je tiens deux jours avant de laisser tomber. Je n’ai jamais aimé la répétition quotidienne. Je fais d’ailleurs ce voyage pour découvrir d’autres mœurs, d’autres pratiques et ne pas tomber dans l’habitude … Faire et refaire m’ennuie. Alors, je sombre. Le but est de tenir.
Le 12 avril, je craque. J’ai l’impression d’être en prison, punie dans ma chambre sans possibilité de sortie. Je suis dans une cage. J’imagine de nombreux scénarios d’évasion, sans succès.
Dans ma cellule, j’ai pour compagnie Gaspard le Cafard, Roberto le Gecko et Renée l’araignée. Ces bestioles deviennent mes animaux de compagnie…
Je pense à William, le ballon de beach volley blanc. Je vais perdre la tête si cela continue. Seul mon parloir quotidien m’aide à tenir le choc.
Comme dans un jour sans fin, chaque journée est identique à la précédente à quelques détails prêts. Je cherche le déclic qui fera que ce cycle infernal s’interrompe. Douze jours de nouilles, de séries et de vide, je n’en peux plus. Attendre, tenir, encore trois jours avant de savoir si le confinement sera prolongé ou allégé. Ces soixante-douze heures, 1728 minutes durent des mois. J’ai pourtant fait 80% du chemin mais le dernier col de cette ascension me parait interminable. J’ai le sentiment d’avoir déjà mis toutes mes forces et toute mon énergie pour arriver jusque-là. Je pense aux animaux parqués sans libération possible. Comment ne pas devenir fou, hargneux ou dépressif ? Comment retourner à l’état sauvage, à la liberté après l’enfermement et ses dommages collatéraux ?
Je n’ai aucun regret sur le fait d’être restée au Vietnam. Je sais que la situation en France n’est pas meilleure. Mais le moral étant notamment dans la gamelle et la mienne étant à base de nouilles, je rêve de tous ces mets que ma famille et mes amis préparent. Ma positivité est en berne. Plus je fantasme sur une côte de bœuf, un tajine, une simple purée ou une salade, plus mes nouilles ont un goût fade, spongieux et rebutant.
Comme j’ai l’autorisation de sortir pour aller faire des courses, mes parents m’encouragent à acheter une plaque électrique, un autocuiseur, une poêle, une casserole. Au moins, me disent-ils, tu pourras manger autre chose que des nouilles. Ces achats me sont impossibles pour l’instant. Si je les fais, cela voudra dire que cette situation pourrait durer encore et encore. Tenir les 103 680 secondes qui me séparent de la décision du gouvernement vietnamien est mon seul objectif. Après je verrai. Je m’étourdis de films, de documentaires, de séries. Je somnole dans un état semi comateux. Et finalement, le 15 avril arrive.
Toute la journée, je guette fébrilement une annonce. Je ne comprends évidemment rien aux sites vietnamiens. Sur les réseaux sociaux personne ne sait à quelle heure les nouvelles règles seront proclamées. A 20h30, enfin, je sais. Je textote avec mes voisins australiens. A-t-on compris la même chose ? Je vérifie avec Trinh, la réceptionniste de l’hôtel : le gouvernement vietnamien vient de cartographier les zones à risques. Ici, le risque est quasi nul. La circulation au sein de la province est de nouveau autorisée. Les restaurants, marchés, magasins vont pouvoir rouvrir. L’allègement n’est pas généralisé à tout le Vietnam mais l’espoir est là. C’est maintenant une question de temps.
A cette déclaration, j’oublie immédiatement les derniers jours. Demain, je pourrais enfourcher mon destrier noir. Rouler, ressentir la chaleur du soleil sur ma peau, regarder les collines qui s’étendent à perte de vue, humer les foins fraîchement coupés. A la lueur des étoiles, cette idée m’enivre. Je peux me couchée sereine et paisible par l’espoir retrouvée.
3 commentaires
Isvi
Coucou Sarah
J’ai souvent pensé à toi pendant tous ces jours…et j’attendais de te lire.
Je ne sais pas comment j’aurais vécu une pareille situation loin de mes bases….Tu as trouvé les ressources en toi et c’est une expérience à nulle autre pareille.
En matière d’aventures…te voilà comblée….J’espère que tu as oublié les nouilles,pour te régaler de fruits ,de poissons et autres délices exotiques.
Pour nous le confinement a aussi été une aventure personnelle même si à la campagne la notion d’enfermement était moins contraignante qu’à la ville.Nous apprenons à vivre différemment.
Dans l’attente d’un nouvel article de Baloo je t’embrasse.
Nadine
baloo
Bonjour Nadine,
Merci beaucoup pour ton message. En étant confinée, l’inspiration me manquait. J’ai repris mon périple il y a maintenant quelques semaines et l’écriture aussi. Ainsi, tu trouveras bientôt toutes les nouvelles aventures de Baloo.
J’espère que tu vas bien.
Je pense fort à vous deux.
Bises
Annick
Coucou Sarah ,
Bravo d’avoir tenu le coup dans ces conditions. Heureusement que ça n’a pas été plus long . En route pour de nouvelles aventures alors.
J’espère que tout va bien maintenant et que tu profites. Bises