Vietnam

En route vers le confinement

Je passe la frontière terrestre entre le Cambodge et le Vietnam à Hà Tien le 1er mars. A ce moment-là, rien ne me prépare au cours des dix heures de bus de Kampot à Can Tho à vivre ce qui suivra : être bloquée puis confinée à Kon Tum.

Retour sur un mois qui a changé mes perspectives de voyage.

Au 1er mars, le monde parle de coronavirus depuis plus d’un mois. Cependant comme beaucoup, je minimise ce qui sera une crise sanitaire mondiale. Je m’agace de toutes ces personnes qui dramatisent. Pour garder les pieds sur terre, on parle de la grippe, d’Ebola ou de la famine qui tuent des milliers d’individus tous les jours et tous les ans, sans battage médiatique.

Dans le bus, personne ne porte de masque. Nous sommes tous d’heureux inconscients. On parle de nos voyages passés et à venir, de nos futures étapes dans le pays. Seul aspect qui nous rappelle le coronavirus, la prise de notre température à la frontière. D’ailleurs à l’époque, je m’insurge car les autorités nous obligent à payer un dollar pour cet acte qui dure cinq secondes. Pour beaucoup, c’est de l’argent facile qui engraisse les douaniers. Nombreux sont ceux qui critiquent cette pratique plus proche de la corruption, que de la lutte contre le coronavirus. Nous sommes le 1er mars, le covid-19 semble loin. Aucun d’entre nous ne pense que cela aura un impact sur nos vies.

J’arrive donc à Can Tho sans angoisse. J’y passe deux jours. A chaque fois, ma première étape dans un pays me permet de préparer mon circuit, de me familiariser avec la culture, d’acheter une carte sim locale…

J’ai deux mois devant moi. C’est long et court en même temps. J’hésite à m’attarder dans le delta du Mékong : Châu Doc, Sadec, Vinh Long, Cai Bè, My Tho. Une autre option est de me rendre sur l’île de Phu Quoc. Finalement, je décide d’aller directement à Ho Chi Minh City, HCMC, l’ancienne Saigon, pour avoir plus de temps dans le centre et le nord du pays.

Le 3 mars, à HCMC, personne ne parle de virus. Le ronronnement habituel des scooters pétaradants accueille touristes et locaux de l’aube au crépuscule. J’essaie d’apprivoiser cette ville lentement, à pied, sans me presser. Puis après plusieurs jours, je doute à nouveau. Quelles sont mes prochaines étapes : les îles Con Dao / Con Son pour jouer à Robinson Crusoé, Mui Né et me perdre dans les dunes de sables rouges, Dalat et ses cascades …

Le 5 mars, je prends l’avion pour Da Nang. Mon idée est de rayonner autour de Hoi An. C’est une ville cosmopolite. L’atmosphère est sereine et calme. J’entend le chant des oiseaux plus que le vrombissement des motos. Je profite aussi des embruns de la mer de Chine.

Cependant au fil des jours, nous entendons que Hanoi et certaines villes du Nord risquent d’être bouclées. Les sites touristiques ferment les uns après les autres. Les excursions sont annulées sans date de report. Une ambiance un peu pesante se fait ressentir et le coronavirus s’invite dans toutes les discussions.

Le 9 mars, les masques font leur apparition de façon massive. La ville se vide. Après avoir vu une exposition fabuleuse de portraits sur les minorités au Vietnam, je décide, à mon tour, de partir le 10 mars pour Kon Tum. C’est une petite ville très peu touristique au centre du pays. Dans les environs, il y a des minorités ethniques. J’ai un contact avec un guide, An, qui me permettra de passer plusieurs jours avec eux.

Quand je le rencontre, le 12 mars, il m’informe que nous devons obtenir l’autorisation de la police pour pouvoir nous y rendre. Le soir même, j’apprends que nous ne l’obtiendrons pas. Les déplacements sont maintenant limités. An ne sait pas me dire quand cette mesure « d’éloignement social » sera levée

J’envisage de nombreux plan B, C, D… quand je fais la connaissance d’un couple d’Australiens, Jenny et Tim. Nous sommes les seuls occidentaux de l’établissement. Notre seul sujet de conversation, ce soir là, est le coronavirus. Nous faisons la revue de presse des groupes Facebook et des journaux de nos pays. La situation se tend. Nous discutons longuement de ce que nous voulons ou pouvons faire. Nous décidons de prendre le temps et d’attendre quelques jours.

Dès le lendemain, les événements s’emballent. Les frontières ferment les unes après les autres. Les hôtels et les restaurants commencent à refuser les étrangers.

Le 14 mars, la police nous demande de déclarer tous nos déplacements durant les quinze derniers jours. Nous devons détailler tout ce que nous avons fait, tous nos hébergements, nos moyens de transport. Je donne le détail de mes pérégrinations au Vietnam et je remonte jusqu’à mon départ de France le 8 octobre dernier afin de les rassurer. La France, l’Europe n’ont pas le vent en poupe. Les Européens deviennent persona non grata. Ce jour-là, jour de mon anniversaire, nous décidons de nous mettre en auto-quarantaine. Je le fête en tête à tête avec Baloo.

A l’annonce du confinement en France, le 16 mars, je reçois de nombreux mails de l’ambassade de France à Hanoi invitant les ressortissants français à rentrer au pays. La majeure partie des personnes rencontrées au fil des mois précédents, décident de rentrer.

J’hésite longuement. Je suis tiraillée. Dois-je rentrer ? Qu’est-ce qui est le plus responsable ?

D’un côté, je sais que si je rentre, je serai confinée. Mais où ? Je n’ai plus d’appartement. Chez mes parents ? Si je suis porteur sain, je vais les mettre en risque. Sans compter sur le fait que j’ai quitté le domicile parental il y a vingt ans de cela. Impossible d’envisager plusieurs semaines ou mois H24 ensemble. Sur un plan sanitaire, il est certain que je serai mieux soignée en France si je venais à être touchée. Et si je rentre, qu’est-ce que je fais après ? Je demande à réintégrer mon entreprise plus tôt ? Je reprends mon voyage quand les frontières s’ouvriront de nouveau ? Rien n’est moins certain.

D’un autre côté, si je reste au Vietnam, je ne suis pas confinée. Je peux toujours prendre mon destrier noir et tailler la route pour découvrir les environs. Je suis libre d’explorer cette terre rouge aux contrastes multiples avec les champs et les rizières. J’admire toujours les levers et couchers du soleil et la beauté de la nature. Même si je perçois parfois de la discrimination, de la peur chez les habitants car je suis européenne, dans la plupart des cas, ils m’accueillent avec sourire. Et puis, la situation semble maîtrisée au Vietnam. L’OMS a notamment salué le traitement de la crise dans ce pays en développement.

Mais, j’ai une inquiétude. Nombre d’étrangers se sont vu « chassés » de leur hôtel. Si tel était notre cas, avec Jenny et Tim, où irions-nous ? Où serait notre toit et pour combien de temps ? Comment pourrons nous gérer la prolongation de nos visas ? Trinh, la réceptionniste de l’hôtel, nous assure qu’elle nous gardera et nous aidera dans toutes nos démarches. Elle a l’accord des propriétaires.

Alors, le 24 mars, après une semaine de tergiversations, de négociations internes, de colère, de tristesse, je lâche prise. Être éloignée à un ou à douze milles kilomètres, cela revient au même. Être seule dans mon appartement ou seule dans une chambre d’hôtel au Vietnam, aussi. Je décide de rester là où je suis jusqu’à ce que la situation mondiale s’améliore.

J’abandonne à regret mon itinéraire initial. Pour l’heure, je décide de poursuivre mon périple autrement. Il suffit pour cela de s’adapter, d’improviser et de rester ouverte aux opportunités.

Les jours s’écoulent désormais lentement. Je porte un masque dès que je mets un pied dehors. A chaque sortie, on prend ma température. J’essaie de mettre à profit ce temps pour apprendre le vietnamien, lire en anglais, faire des balades en scooter et de la photographie. Très gentiment, Trinh nous invite chez elle. Nous partageons un « family lunch » lors d’un déjeuner dominical. Je découvre la vie des vietnamiens au quotidien.

Mais alors que je commence à m’habituer à ma vie au ralenti, le 31 mars, il y a un nouveau coup de frein. Le gouvernement vient de décider un confinement total pour les 15 jours à venir. Trinh m’appelle pour me dire qu’elle a obtenue de la police que nous restions dans l’hôtel bien que sa fermeture soit exigée. Elle m’informe également que je dois faire des courses pour au moins dix jours. Nul ne sait exactement le détail des mesures mais il faut se préparer à être cloîtré sans interaction possible avec l’extérieur.

Alors comme tous les Vietnamiens, ce soir-là, je me rends au supermarché. Les rayons se vident à vitesse grand V. J’achète de l’eau, des fruits, des céréales et des nouilles instantanées. Moi qui n’avais jamais mangé de pâtes Bolino de toute ma vie d’étudiante, je crois que désormais je vais pouvoir faire une étude comparative.

Certes, ce n’est pas l’aventure que j’avais prévue. Mais, au lieu de me dire que je suis au point mort, j’accueille cette épreuve accompagnée de Baloo, Skype et Netflix. Je prends chaque jour comme il vient. Je repense à la devise de Putra, de son « peu » pour « être heureux » : un bon repas, un toit et des échanges.

A la lueur de cette philosophie, je suis chanceuse. Confinée au bout du monde, je voyage dans ma chambre, en bonne santé et en profitant depuis la fenêtre de ma chambre de beaux levers de soleil.

Je suis aussi admirative de tous les élans de solidarités et d’aides qu’il peut y avoir. Nous prenons tous conscience que ce que nous prenions pour acquis ne l’est pas. Nous en mesurons la valeur.

Aussi, je ne sais pas de quoi demain sera fait. Une seule chose est certaine. Je passerai plus de deux mois au Vietnam. Je viens de demander la prolongation de mon visa jusqu’au 1er août 2020.

3 commentaires

  • Nounours

    Ca y est. Me voilà à jour dans la lecture de tes articles.
    Bravo pour les trois derniers.
    On t’embrasse fort, Amiguette.
    Bon courage.
    On te rappelle dès que le boulot, la maison et les filles nous laissent quelques instants de répit.
    A+!

  • Carnesecchi Marie-Helene

    Un petit mot Sarah pour te dire de prendre bien soin de toi
    Tu poursuis ton périple et bravo
    Je te lis avec grand plaisir durant ces jours de confinement
    Bon courage
    Amicalement
    MH

    • baloo

      Coucou MH, merci beaucoup pour ton message.Après quelques semaines confinées, j’ai repris mon périple et l’écriture.
      J’espère que tout va bien pour toi et les tiens.
      Amicalement
      Sarah

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