A vos marques, Prêt, Partez !
Le 16 avril, nous sommes tous dans des starting blocks. Le déconfinement pour la région de Kon Tum est acté. Le coup de feu libérant toute l’énergie et la frustration accumulées va retentir. De toutes les personnes jouant des coudes sur la ligne de départ, je suis en fin de peloton. Ma position d’étrangère me fait appréhender cette situation nouvelle avec prudence. Avant le confinement, certains habitants me regardaient avec crainte et appréhension. Pour quelques-uns, en tant que blanche, je suis toujours le symbole du virus et de sa propagation. Je ne peux me permettre de partir bille en tête. Alors, j’attends une journée de plus. Je ne suis plus à ça près. Mieux vaut demander l’autorisation de sortie auprès de la police.
Une fois acquise, j’enfourche mon bolide. Toutes mes sensations sont exacerbées. La chaleur du soleil. Le chant des oiseaux. Le vent. Les parfums des rizières et des champs. Je suis ivre de cette liberté regagnée. Jamais je n’avais ressenti une telle extase pour la nature et mon environnement. Je cherche à capturer chaque seconde, chaque paysage, chaque courbe de route. Je roule encore et toujours, boulimique de kilomètres. Pas le temps de s’arrêter pour prendre des photos. J’ai soif de me rassasier de ce qui m’a tant manqué : la vie sous toutes ses formes.
Pendant quelques heures, collines et vallées, lacs et champs se succèdent. Je croise fermiers et enfants. Ils me font des grands signes et me crient « Hello ». Ces yeux rieurs, ces gestes chaleureux et bienveillants m’indiquent que la vie reprend en toute simplicité. Je fais le plein de ce plaisir retrouvé. Une fois ma faim apaisée, j’emprunte le chemin du retour.
A l’hôtel, je célèbre le déconfinement avec Jenny et Tim. On cale également un repas de fête avec toute l’équipe de l’hôtel pour le samedi et un « family lunch » avec Trinh et ses parents.
Nous échangeons sur l’avenir. Unanimement, nous allons attendre le nouveau point du gouvernement prévu le 22 avril. Les déplacements inter provinces sont toujours interdits. Curieusement il n’y a plus d’urgence à reprendre la route. Je peux patienter, le temps que le pays soit complètement déconfiné, avant de repartir. Cette fois, c’est ma décision. Cela change la donne du tout au tout. Je ne subis plus, j’agis.
Les quinze jours suivants, je me balade. J’explore les villages et les environs de Kon Tum. Je pars à la découverte de nouveaux lieux : barrage, lacs, points de vue pour de beaux levers et couchers de soleil.
Je découvre le soir à l’hôtel un nouveau sport. Cela ressemble à du football sans ballon. Ce dernier est remplacé par une sorte de goupillon lesté par un bouchon. L’objectif est de faire le plus de passes possibles. Si le joueur échoue, avant de pouvoir réintégrer la partie, il doit s’acquitter d’une dizaine de pompes. Ils me proposent de jouer. J’essaie. Je frappe dans l’air de toute mes forces. Mon pied effleure à peine le projectile. C’est un grand moment de solitude qui les font se gausser pendant un bon moment. Alors, pour leur plus grand bonheur, je troque ma place pour celle de photographe.
Notre dernière soirée, le 4 mai, arrive dans un claquement de doigts. Il est saisissant de constater qu’une même durée n’est pas ressentie de la même manière en fonction de son état d’esprit et de sa capacité à entreprendre.
Nous sommes tous réunis pour ce dernier repas en commun. Une grande table a été dressée dans le patio/ parking de l’hôtel. Nous dégustons un fabuleux festin préparé par Trinh et son équipe. Il y a des noodles évidemment mais aussi de la soupe, du poulet et du bœuf grillés et épicés à merveille, de la salade, des nems, de l’omelette, des légumes et tant d’autres plats …. Chacun pioche avec ses baguettes au gré de ses envies. C’est le principe des repas conviviaux. On dispose tous les plats sur la table et après chacun se sert selon sa faim et ses goûts.
Malgré les 54 nuitées passées ici, notre vietnamien à Jenny, Tim et moi est toujours au point mort. Alors, chacun parle dans la langue qu’il maîtrise. Les jeux de regards démontrent la frustration des uns et des autres de ne pas pouvoir se dire plus. On se sourit. On trinque.
La musique est fédératrice, place à un karaoké improvisé. Chansons internationales et vietnamiennes se relayent. On se lance sur toutes sortes de musique de Justin Bieber à Ed Sheeran en passant par So’n Tùng M-TP. Notre accent vietnamien génère des fous rires tonitruants. On prolonge au maximum ces instants uniques. Chacun sait que, de manière imminente, sera bientôt venu le temps de se dire adieux.
Le lendemain, avant de prendre la route, je partage un dernier petit déjeuner avec Trinh et ses parents. On parle peu. On se regarde. Nos yeux s’embuent. On se souhaite le meilleur, d’être prudents. Les mots se serrent dans nos gorges. Il est temps de partir.
J’ai la boule au ventre. Je suis ici depuis longtemps. Trinh, sa famille, l’équipe de l’hôtel, ma chambre de 12m2 ont été ma maison, ma famille. C’est comme un nouveau départ. Je me rappelle mon départ de France, la sensation est similaire. Je suis excitée par le voyage et triste de les quitter. Je démarre. Un dernier salut de la main. Je tourne à gauche. Un dernier regard. C’est reparti. Je retiens mes larmes. Je roule.
Au fil des premiers kilomètres, tous mes souvenirs et sensations se bousculent : joie, colère, tristesse, dégoût, plaisir, chance, sourires, visages… Arrive la limite de la province de Kon Tum. De la même manière qu’un avion décolle vers un nouvel horizon, l’allégresse m’envahit. Une seule idée m’avait obsédée pendant ces sept semaines : voir la mer et les vagues. Je déploie mes ailes de nouveau. Je file vers un nouveau havre de paix.
Tout au long des 250 kilomètres, les paysages changent. Je passe des hauts plateaux à la plaine. Des maisons en bois aux constructions en béton.
Pour les dix derniers kilomètres, google maps m’indique un chemin improbable. Je traverse les rizières sur des chemins de terre et de graviers. En cette fin de journée, je partage cette minuscule route avec les fermiers qui ramènent leurs buffles à l’étable et les poules qui errent. Puis, je dois tourner à gauche pour traverser le fleuve. Hagarde, je regarde le pont. Il fait la largeur de ma moto. Je descends pour examiner ce tronçon de plus près. Un homme à scooter le franchit sans encombre. S’il peut le faire. Je peux le faire !
J’avance au pas. Je franchis les dix premiers mètres, peu assurée. Il y a un garde-corps. Mes pieds touchent les bordures du pont. J’arrive ensuite à la partie la plus risquée. Ce n’est plus de la pierre mais de la tôle ondulée, rouillée par le sel. Il n’y a plus de barrière. Comment vais-je franchir cette partie ? Je ne peux pas faire demi-tour ? Puis-je reculer jusqu’à la terre ferme ? Puis-je descendre de ma moto ? Je me sens bloquée. Pas possible d’avancer ni de reculer. Je me vois déjà tomber dans le fleuve au moindre faux mouvement avec ma moto et mon sac. Je vois le saut en 3D. Quoi que j’imagine, je finis à l’eau. Pétrifiée, je cherche une issue.
Tout à coup, apparaît dans l’eau, tel un sauveur, un des jeunes hommes que j’avais croisé avant de m’engager sur ce pont du diable. Je lui fais des grands signes. Je le supplie de m’aider. Il arrive tout sourire. Fébrilement, je descends et me cale contre un poteau. Il enjambe ma moto, fais vrombir le moteur et il traverse le pont comme si c’était un jeu d’enfant. Je le rejoins à pied et le remercie d’avoir été mon ange gardien. Il est heureux. Je termine ma route dans les dunes de sables avant de retrouver une route asphaltée.
Enfin, j’atteins la longue allée de mon nouveau refuge. La plage, la mer de Chine et un sublime coucher de soleil me tendent les bras. Je respire. Je suis libre.
2 commentaires
Jean-Marie Noel
Salut Baloo
Et tu trouves qu’il en faut peu!!!
Nous supposons que ce que tu vas vivre maintenant va te paraître bien banal.
Merci d’avoir rétabli le fil, nous nous inquiétions un peu.
Prends soin de ta maîtresse
A bientôt
Maryvonne et Jean-Marie
baloo
Merci de ton message !!
J’ai repris l’écriture il y a peu, le confinement avait eu raison de mon inspiration.
J’ai de nouvelles aventures à partager avec vous… et une chose est certaine, c’est que lorsqu’on voyage rien n’est jamais vraiment banal.
J’espère que vous allez bien tous les deux.
Je vous embrasse.