Welcome to a Tam Thanh’s Family
Rien ne présageait que je serai « admise » comme membre à part entière au sein d’une famille du village de Tam Thanh. On ne décide pas d’être intégré dans une communauté. Il est prétentieux de croire que cela ne dépend que de notre volonté. C’est elle qui choisit de vous accueillir en son sein. Il faut du temps. Les choses se font en douceur, par petites touches.
Cela dit, le point de départ est toujours non-verbal : le sourire, la posture physique. Puis, entrent en jeu les valeurs, la curiosité, l’humilité, le respect. Si vous arrivez en « conquistador », il est évident que vous serez traité sans autre considération.
C’est d’ailleurs l’attitude de certains français installés au Vietnam depuis plusieurs années qui me fait écrire cela. Est-ce parce que je suis française que je suis aussi sensible à l’intolérance et toute forme d’arrogance gauloise ? J’en ai été témoin dans mon petit hôtel de Tam Thanh. De nombreux français installés à Hoi An ou à Da Nang viennent parfois y passer une nuit. Ils ont une attitude assez étrange. Ils dégoisent tout ce qu’ils peuvent sur la France. Cependant, paradoxalement, ils ne sont jamais contents de ce qu’ils ont. Eux, ils savent. Ils font. Ils sont. Leur posture de donneur de leçon voulant tout transformer et imposer un modèle français, qu’ils décrient, est assez détestable. Malgré ou en raison du passé, la communauté française est importante au Vietnam. Leur nombre serait de dix à vingt mille personnes. J’ai croisé le meilleur comme le pire. Certains se croient encore au temps de l’Indochine. D’autres aiment ce pays et ses habitants. Ils souhaitent simplement y vivre en respectant ses règles et ses coutumes, en limitant leurs empreintes occidentales. De fait, leur intégration est très différente. Les premiers vivent dans un clan d’expatriés. Les autres vivent avec la communauté vietnamienne.
Pour ma part, quand j’arrive, je suis simplement une backpacker. Rien ne me différencie d’un autre voyageur à l’exception du fait que je suis la seule à avoir atterrie ici depuis quelques temps.
Mes premiers contacts avec les gérants du lieu, Nguyên et Trang, leur fils, Pi, le père de Trang dit aussi le « grand-père », les deux volontaires européens, Nico et Nat, et l’américaine vivant ici à l’année, Cindy, ont lieu à l’occasion des déjeuners et des diners pris tous ensemble. Au fil des discussions, on apprend à se connaitre. On partage nos quotidiens. Chacun est attentif à l’autre. Au fur et à mesure, je contribue à la vie de cet hôtel.
Je suis de moins en moins une simple étrangère. Mon statut évolue. A tel point que je ne sais que répondre quand des touristes me demandent si je travaille ici. Evidemment que non. Mais en prenant leur commande, en aidant à préparer les plats… je ne suis pas non plus de passage pour quelques nuitées. C’est une phase de transition.
Avec Nguyên, je découvre la préparation des « Fried Spring Roll », des « Fresh Spring Roll », du “Fried rice” et le marché aux poissons.
Tous les matins, dès l’aube, c’est une danse incroyable. Avec frénésie, au bord de la plage et avant la chaleur du jour, les partitions sont exécutées scrupuleusement. Les hommes font la navette entre le bateau et le rivage sur des coques de noix. Ils apportent leur cargaison toute fraîche de poissons et de crustacés pêchés la veille. Les femmes trient, dépècent et vendent les fruits de ce labeur. Elles préparent aussi les commandes des hôtels et des restaurants avoisinants. Avec leur chargement, elles transpercent la foule d’un pas rythmé. Pas le temps de s’arrêter. Le ballet du rivage au parking n’attend pas. La première fois que je découvre ce lieu, je suis grisée par cette énergie. Je ne sais où regarder. La fraîcheur des embruns tranche avec l’odeur des entrailles. Tous les sens sont en éveil. Il faut du temps pour s’acclimater. Mais 6h du matin sonne à peine que c’est déjà la fin du spectacle. Il faut revenir pour dépasser le premier effet de surprise et d’émerveillement.
J’y retourne donc quelques jours plus tard. Cette fois-ci je sais à quoi m’attendre. La différence, c’est que je déambule seule. Je perçois dans le regard des autochtones leur étonnement. Que fait une blanche à cette heure-là parmi nous ? Leur stupéfaction se traduit par des sourires, des regards, des « hello », des pouces levés pour signifier leur assentiment.
Une femme m’arrête pour que je la prenne en photo avec un poisson long d’un mètre. Elle pose fièrement.
Profitant de ce moment, une de ses comparses commence à me toucher les bras, les jambes… Quand sa main remonte vers mes fesses et mes seins dans un vietnamo, anglo-français, je lui fais comprendre qu’on va s’arrêter là. Elle part en fou-rire. J’écarquille les yeux, éberluée par la situation. Qu’a-t-elle imaginé ? j’ai deux bras, deux jambes, comme elle. Quand je rentre, j’en parle à Nguyên. Il rigole à son tour. Il me confie que ce sont des familles de pêcheurs très humbles qui n’ont jamais quitté le village. Ils n’ont pas forcément eu accès à l’éducation. Aussi à chaque fois qu’ils voient un étranger, ils veulent savoir s’il est fait de chair et de sang. Il me raconte la fois où il a emmené un homme à la peau noir au marché. Ces femmes voulaient savoir si c’était du maquillage. Nous sommes contemporains mais un siècle nous sépare.
Tout est simple ici. Il n’y a ni fioriture ni faux-semblant. Une réalité brute, sans diplomatie ni équivoque. Cela surprend. C’est un mode de communication sans filtre qui s’applique en nombre de circonstances. Les photos publiées par l’hôtel sur les réseaux sociaux et les plateformes de réservation ne font pas exception à cette règle. Il n’y a aucune mise en valeur du lieu. Quand Nguyen et Trang voient mes photos, ils me demandent d’en prendre de l’hôtel et des environs. Elles permettront de promouvoir le lieu et de décorer les chambres. C’est un gage de confiance qu’ils m’accordent. Par ce biais et sans un mot, ils me donnent une place dans leur vie, dans leur quotidien. J’en suis honorée et j’y contribue de mon mieux par quelques clichés. Un texte peut-être pour Booking et TripAdvisor.
Parallèlement, Nguyên m’informe que le centre d’anglais en ville est à la recherche de professeurs d’anglais. Est-ce que j’accepterais d’enseigner aux enfants de la communauté ? Instruire est un métier. Bien plus encore l’exercer dans une langue étrangère. Je suis prise de doutes. En suis-je capable ? Ai-je les compétences ? Serais-je crédible ? Nguyên m’encourage à rencontrer le manager du centre, David. Une discussion n’engage à rien. Lors de notre rencontre, nous convenons que je viendrai pendant 3 jours pour me rendre compte.
Dès la première heure, je suis jetée dans le grand bain. J’ai le sentiment d’être sur le grill. Je fais particulièrement attention à bien articuler, à la syntaxe de mes phrases. Je m’adapte aux besoins. J’essaie de reformuler afin d’être comprise par les enfants de tous les âges. Je passe de l’apprentissage des couleurs de l’arc-en ciel à des bambins de 5 ans à une discussion sur le voyage, la France et sa géographie avec des pré-adolescentes. Ils semblent heureux de me voir et d’échanger. C’est une expérience unique. C’est un défi constant. Si je n’intéresse pas les gamins ou s’ils ne me comprennent pas, ils me le font sentir immédiatement.
Alors, j’essaie de trouver d’autres pistes. Je fais souvent appel à la tata clown qui émerveille mes nièces. Ça marche ! Les enfants restent des enfants. Expliquer l’anglais de manière ludique me correspond. Les phrases ô combien connues de nos manuels, « Where is Brian ? Brian is in the kitchen », partent aux oubliettes. Armée de mon téléphone et de mes photos, place à de la créativité.
Une fois ma période d’observation terminée, nous échangeons avec David sur ses besoins. C’est la fin d’une année scolaire perturbée par le Coronavirus. Contrairement à ses prévisions, il m’informe que le nombre de cours sera réduit pendant l’été. Serais-je disponible en septembre ?
A mon retour à l’hôtel, j’annonce que je ne donnerai pas de cours d’anglais immédiatement. Ils sont tristes. Cela suppose que je vais reprendre la route. Je réfléchis à différents scénarii. Je suis tiraillée entre mon envie de rester avec la famille et repartir pour de nouvelles aventures. Je me donne quelques jours de réflexion.
Finalement, l’appel du large est le plus fort. Je pars le 16 juin.
Je reviendrais peut-être en septembre.
Je reviendrai de façon certaine pour partager quelques jours en famille.
3 commentaires
Noël
Salut Baloo
Plaisir de te voir ressortir le bout du nez
Quelle aventure! Tu n’en reviens pas ?
Merci du partage, et bon vent pour la suite!
Annick
Compliqué de faire ce choix. Bonne continuation bises
baloo
Merci beaucoup… effectivement cela faisait un petit bout de temps que je n’avais pas repris la plume.
Pour te répondre, je n’en reviens pas … jamais … j’aime toujours autant me laisser surprendre et découvrir… car rien n’est jamais acquis.
Je t’embrasse.