Fête de la mi-automne
Depuis plusieurs semaines, je vois des dragons se balader dans les rues au rythme des tambours. Non, je ne suis pas prise de visions. Ils sautent, ils dansent, ils gesticulent… Je m’approche pour observer de plus près. Ce sont de jeunes adolescents Vietnamiens qui s’entraînent. Dans quelques jours, c’est la fête lunaire d’octobre, « Tết Trung Thu ». La fête battra son plein au soir du 15e jour du 8e mois lunaire soit le 30 septembre 2020.
Cela fait plusieurs mois que je suis au Viêtnam, mais je n’en avais pas encore entendu parler. Alors, je me renseigne pour la découvrir. Le « Têt Trung Thu » est la seconde fête traditionnelle la plus attendue, après le « Têt Nguyen Dan », le Nouvel an lunaire du Viêtnam.
Appelée également fête de la lune, elle célèbre, à l’origine, la récolte du riz. D’après certaines croyances, il y aussi une importance astrologique. La lune d’automne est femelle, yin, par opposition au printemps qui est mâle, yang. Elle est ainsi annonciatrice des futures récoltes. Selon sa luminescence, la moisson sera plus ou moins bonne :
- Une lune brillante indique une bonne récolte,
- Si son éclat est jaune, les vers donneront beaucoup de soie ; la paix et le bonheur profiteront à tous,
- Si l’éclat de la lune est vert, c’est alors un signe de famine,
- Mais si des traînées noires dissimulent en partie la lune, alors c’est une annonce de guerre.
Ainsi, pour prier le génie de la lune et espérer de bons augures : bonnes récoltes, chance, fortune, souhaits…, des offrandes sont faites. Sur chaque autel de chaque maison, se mêlent aux parfums d’encens et de bougies, les odeurs de fruits et de gâteaux de la lune.
Par ailleurs, la lune est l’objet d’un symbolisme particulier dans la culture Vietnamienne. Aussi l’observer quand elle est la plus ronde et brillante représente la plénitude, l’unité familiale et la prospérité de la vie. Aussi, cela donnait l’occasion aux parents de passer du temps avec les enfants à la fin des récoltes. Est-ce la raison qui a transformé cette journée en une fête des enfants ? Je ne le sais pas. Cela dit, à n’en pas douter cette journée représente maintenant un équivalent de notre Noël occidental.
Le jour venu, des cadeaux : jeux, vêtements, livres… sont offerts aux enfants. Des plats traditionnels sont préparés et des mooncakes sont dégustés avant d’aller se promener dans les rues pour admirer les défilés.
Je partage ce festin avec Nguyen et sa famille. A l’occasion, il me dit que la tradition se perd parfois dans les grandes villes mais qu’elle reste très importante dans les villages. Aussi, après dîner, j’enfourche ma moto pour rejoindre Tam Ky.
Sur les premiers kilomètres, rien ne fait penser qu’il se passe quelque chose de particulier. J’avais bien observé les jours précédents les décorations : lanternes, lumières, bannières souhaitant une belle fête de la lune et surtout des stands vendant des gâteaux de la lune un peu partout. Cependant, sur le chemin, je ne ressens aucune ferveur particulière.
C’est alors que, arrivée en ville et voulant tourner dans l’une des artères principales, je suis stoppée nette. Des centaines de scooters sont arrêtés. J’essaie comme les Vietnamiens de zigzaguer dans le flot de deux-roues déjà stationnés pour rejoindre ce qui semble le point d’attraction. Lorsque je suis au plus près de l’évènement, je m’immobilise et j’attends.
Après quelques minutes, les tambours retentissent. Dans un bruit assourdissant, un dragon pointe le bout de son nez et commence sa parade. Une petite dizaine de jeunes Vietnamiens exécute la danse du dragon. A l’aide de perches, ils guident le corps du dragon. Ainsi, il ondule, tourne, montre sa puissance en cadence. La tête du dragon est particulièrement féroce afin d’intimider voire de faire peur. Cependant, le dragon incarne surtout la dignité, la sagesse, le pouvoir et la richesse. La chorégraphie et les figures exécutées par la troupe sont impressionnantes. Il faut une force non-négligeable et un vrai talent d’acrobate pour que le dragon ondoie tel des vagues.
Je suis portée par les clameurs et la musique. J’écarquille les yeux comme une enfant lorsque le dragon crache du feu. Les fumigènes colorés, les bannières, le rythme entêtant et les autres personnages qui entourent le dragon nous embarquent complètement dans un nouvel univers.
Le show dure une vingtaine de minutes. Il est généralement financé par un magasin, un café ou une grande maison afin de placer le lieu et ses habitants sous de bons auspices : chance et prospérité. Cependant, la représentation touche à peine à sa fin que le rugissement des moteurs rivalise avec les tambours. Les Vietnamiens sont prêts pour quitter le lieu. Ils klaxonnent à tout-va pour commencer à se frayer un chemin. Mais où vont-ils ? Pourquoi ne pas profiter du spectacle jusqu’au bout ?
Etant en plein milieu de centaines de scooters, pas d’autre choix que de faire comme eux. Alors, prise dans une marée de motos, je démarre. Je les suis. Je découvre un peu partout dans les rues ou les places, une troupe de danseurs. Je comprends donc que la précipitation a pour but de se rendre le plus vite possible d’un show à un autre. Enivrée par ce contre-la-montre et par le bruit des percussions, je sillonne les rues. Je rejoins l’une des grandes places de Tam Ky. Cette fois-ci, je gare ma moto afin de pouvoir m’approcher au plus près des artistes.
A force de serpenter dans la foule, j’arrive à atteindre le premier rang, celui des enfants. Je me dis que c’est ma place, ne suis-je pas une grande enfant ? La seule chose qui me différencie, c’est mon mètre quatre-vingt. Donc, je m’accroupis et je patiente.
Cette fois, en étant aux premières loges, je peux détailler chacune des figures de la danse du dragon. J’observe chacun des danseurs. Ce sont de véritables athlètes. Je perçois la puissance et la dextérité nécessaire pour que chacun des mouvements du dragon soit harmonieux. Puis, je plonge dans l’atmosphère joyeuse et euphorique. Enfants, adultes sourient, crient, tapent des mains, encouragent… Au cœur de cette cohue colorée, j’ai le sentiment que nous portons tous le dragon, qu’un lien invisible nous unis grâce à cette danse captivante.
Une fois la performance terminée, je m’attends au concert de klaxons. Mais personne ne bouge. En revanche, une sirène retentit. Je vois débarquer une structure métallique composée de piliers de différentes tailles et posée à même le bitume. En tout, elle doit mesurer une petite vingtaine de mètres. Certains membres de la troupe s’allongent sur des matelas à la base de la structure pour faire contrepoids et éviter tout basculement. D’autres en testent la stabilité en marchant puis en sautant de pilier en pilier.
Quand, tout semble sous contrôle, « Ong Dia », le génie de la Terre, ouvre la danse. Il a un visage réjoui, une imposante bedaine et tient un éventail en forme de feuille. Il me fait penser au Bouddha à grosse tête. Esprit bienveillant, il symbolise la prospérité et la richesse, mais surtout, il a le pouvoir d’invoquer une licorne.
Alors apparaît sur la structure métallique un qilin, une licorne ou peut-être un lion… Qui sait ?
Sa tête est impressionnante. Elle est mi-effrayante, mi-séduisante et amusante, notamment quand elle bouge les oreilles. Au son des percussions, l’animal s’élance, danse, saute de pilier en pilier. Quand il arrive à mon niveau, je me rends compte que deux danseurs sont cachés à l’intérieur du costume. A chaque traversée la foule les acclame. Ils le méritent !
La danse du Lion est extrêmement technique et difficile. Quand j’examine la taille de la tête, j’imagine son poids et la force nécessaire pour la porter et gesticuler avec. Pour ces raisons, ce sont de jeunes hommes qui constituent les troupes. Cependant, des femmes se lancent dans l’aventure de la danse du lion.
Alors, je m’imagine à leur place…😱😅😂 !!!
Je me dis que chacun est à sa place. Ces acrobates dans la lumière du show et moi derrière un appareil photo à capter l’atmosphère et l’expression de leur talent.