Histoire d'une chute

Histoire d’une chute : Tomber

Je ne me suis jamais intéressée au verbe « tomber » et à ses diverses significations avant une chute survenue la nuit du 17 au 18 juillet 2022 à Hoi An, au Viêtnam. Mais, depuis cet événement, ce mot revêt de nombreux sens pour moi.

Aussi avant de vous raconter cette « aventure » qui a un impact sur ma vie, mes perceptions, mes peurs, mes rêves…, retournons ensemble aux dictionnaires.

Le « Littré » propose 61 définitions, le « Larousse » 25 et « Le Robert » classifie ce verbe en 5 groupes composés à chaque fois de 3 ou 4 sous-catégories.

Voici celles qui retiennent mon attention :

  1. Perdre l’équilibre et faire une chute, s’affaisser au sol
  2. Être tué (dans un combat, une guerre)
  3. Perdre le pouvoir, être renversé
  4. Se rendre, capituler (en parlant d’une position militaire)
  5. Perdre de sa force, de son intensité
  6. S’abaisser ou être très déprimé
  7. Passer d’un état neutre ou valorisant à un état dévalorisant, affligeant

Les synonymes :

  • S’affaler, basculer, dégringoler, s’écrouler, s’effondrer, mordre la poussière, trébucher, se casser la binette/la figure/la gueule/la margoulette, chuter, s’étaler, se gaufrer, prendre/ramasser une gamelle/une pelle/un gadin, se rétamer, valdinguer, se vautrer, prendre un billet de parterre, choir…
  • Baisser, s’affaiblir, s’apaiser, s’atténuer, se calmer, décliner, diminuer, s’éteindre, faiblir, se réduire…
  • Capituler, être renversé, être vaincu, être éliminé…
  • Mourir, disparaître, périr, succomber, verser son sang…

Chacun de ces termes ou interprétations liés à ce mot résonne désormais de manière particulière. Mais il ne faut pas oublier les antonymes : éclore, croître, grimper, jaillir, monter, résister, (se) relever, soutenir, tenir, vivre…

Ainsi, la citation de Khalil Gibran, « Nul ne peut atteindre l’aube sans passer par le chemin de la nuit », illustre pour moi ce cycle « Tomber/Se relever ». Elle traduit ma descente aux enfers pavée de petits miracles et la longue remontée à la surface.

****

Tout commence quelques jours à peine après mon retour au Viêtnam. Je viens de séjourner quatre mois et demi en France entre réacclimatation, déstockage de mes affaires, famille, amis, clarification de mon projet professionnel et réseautage pour préparer l’avenir.

Le 13 juillet 2022 à 13 h 10, je décolle enfin direction Hô Chi Minh City puis Da Nang. J’arrive « chez moi » le 14 juillet à 14 h, des rêves de reportages et de road trips plein la tête. Tout au long du chemin en voiture qui me conduit à Hoi An, je reconnais les lieux, les rizières, les restaurants, le bruit, les couleurs, la vie. Cela fait quatre mois et j’ai l’impression d’avoir emprunté cette route hier. Un sentiment d’apaisement malgré le nombre de questions et de défis futurs s’empare de moi. Je suis émue et soulagée de me sentir aussi bien dès que je foule le sol vietnamien. Je vais pouvoir respirer et poursuivre mes projets d’écriture et de photographie !

Est-ce le changement de température, de climat ? Est-ce simplement de la fatigue intense, une intoxication alimentaire ou une forte déshydratation ? Est-ce la décompensation de mois difficiles à base de covid, de visa renouvelé ou non, de retour en France, d’incertitudes diverses et variées… ? Dans la nuit du 17 au 18 juillet 2022, vers 3 h du matin, me rendant à la salle de bain, je suis prise de vertiges. Après c’est le trou noir.

Quand j’ouvre les yeux, je suis étalée de tout mon long et je ne peux plus bouger. Je n’arrive pas à me redresser. J’essaie de me trainer pour retourner dans mon lit. Sans succès ! Alors, je reste allongée sur le sol en attendant que le jour se lève.

Pourquoi je n’appelle pas à mon secours l’amie qui m’héberge et dort dans la chambre à côté ? Peut-être suis-je persuadée, ou je veux m’en convaincre, que ce n’est rien de grave et que cela ne sert à rien d’en faire toute une histoire. Je reste donc par terre, sur le carrelage froid. Ça doit me faire du bien, car je m’assoupis.

J’ouvre de nouveau un œil vers 7 h du matin. Je ne peux toujours pas me tenir debout, mais je dois pouvoir faire du quatre pattes. Afin de ne pas inquiéter ma pote, je lui envoie un texto : « Quand tu es réveillée, peux-tu venir me voir, je vais avoir besoin de toi ». Une fois à mes côtés, elle commence par m’engueuler : « Pourquoi tu n’as pas crié à l’aide ! T’es complètement folle d’être restée ainsi ! J’ai bien entendu un gros « boum », mais comme tu ne m’as pas appelée, je me suis dit que ce n’était rien d’important ! J’aurais dû venir ! Je m’en veux… » Le choc émotionnel passé, nous réussissons l’exploit de me déplacer jusqu’au canapé. Je m’affale dans un cri de douleur et on discute des actions à mener :

  • Analyser la situation : j’ai une bosse plus volumineuse qu’une balle de golf à l’arrière du crâne. Je ne peux pas me mouvoir toute seule, mais je n’ai pas le sentiment d’avoir quelque chose de cassé. Je suis lucide, consciente et mes réflexes sont bons.
  • Boire ou manger : je n’ai pas faim, mais j’ai très soif. Cependant, on convient qu’il est plus judicieux d’attendre l’avis d’un médecin avant que je n’ingère quoi que ce soit. Personne ne sait combien de temps je suis restée inconsciente et il est préférable d’être prudente.
  • Aller à l’hôpital : je ne me sens pas du tout l’énergie et la capacité de prendre un taxi pour me rendre à Hoan My, un centre médical international situé à Da Nang.
  • Appeler un ami pédiatre à Hoi An et lui demander conseil. Après un long échange, il pense que j’ai une gastro-entérite, que je suis déshydratée. En aucun cas, je n’ai besoin de partir pour les urgences. Il faut que je boive beaucoup et que je sois au calme. On fera le point d’ici 24 à 48 h pour voir l’évolution de la situation.

Je passe les deux jours suivants à dormir et à déguster des litres d’eau aromatisés par les douces saveurs des tablettes de réhydratation. Mais, je n’arrive pas à manger ou seulement la quantité d’un moineau. J’ai la bouche sèche en permanence, la couleur d’un cachet d’aspirine et je n’ai pas retrouvé ma mobilité. Je me rends donc le 20 juillet dans un dispensaire à Hoi An. Ma tension artérielle est très basse et la prise de sang confirme la forte déshydratation. Je suis mise sous perfusion et je reste quelques heures à la clinique. Les heures passées alitée avec les médecins qui me surveillent de très près commencent à m’inquiéter et ce d’autant plus qu’ils me conseillent de faire une échographie des reins très prochainement.

Dès que je sors du dispensaire, ayant un peu d’énergie, je décide d’aller à Da Nang. Au moins, je serai à pied d’œuvre si je dois partir rapidement aux urgences. Et dans la nuit, de nouveau, j’ai de terribles douleurs et des vertiges. Alors, comme je peux, je prends un taxi et je me rends à l’hôpital international de Hoan My.

Le médecin confirme la déshydratation et la tension faible. Il complète le diagnostic par la forte présomption d’une gastro-entérite. Il me fait tout de même passer une échographie des reins, car j’ai très mal dans le bas du dos et au niveau des flans et un scanner cérébral en raison de ma bosse. Bonne nouvelle, tout est normal. J’ai vraisemblablement un virus un peu costaud lié à l’eau ou à la nourriture. Sa prescription est donc de l’eau minérale, du mouvement, des anti-inflammatoires et des antidouleurs.

Les jours qui suivent, je reste majoritairement alitée. Le traitement me soulage légèrement, je retrouve de la mobilité, mais j’ai toujours de fulgurantes douleurs dans le bas du dos et les flans, la bouche sèche et pâteuse et un certain nombre de désagréments intestinaux. Une nouvelle fois, on me conseille de bouger, marcher, de changer de literie (cause probable de mon mal de dos) et trouver un lieu qui pourrait être ressourçant. Pour beaucoup, c’est juste la fatigue intense qui me rend vulnérable aux bactéries. Mon organisme épuisé rencontre des difficultés à reprendre des forces. Il est urgent que je me dirige vers un havre de paix où corps, âme et esprit pourront s’apaiser et guérir.

Je pars donc le 25 juillet pour Hué. Je n’y suis jamais allée, ce sera l’occasion de nouvelles découvertes. Cela me met en joie d’autant plus que j’ai trouvé un hôtel fabuleux en bord de mer.

Shootée aux médicaments afin de pouvoir tenir, je visite la cité impériale, des fabriques traditionnelles d’encens et d’objets en cuivre…

Cependant, 10 jours après ma chute, douleurs et vertiges sont toujours extrêmement présents. J’ai l’intuition que je dois arrêter de nier l’évidence. J’ai quelque chose de grave. Pour l’instant, seulement pour l’instant je l’espère, il est nécessaire d’oublier les reportages, les road trips à moto au Viêtnam et au Laos. Il faut que je me soigne et que je rencontre des médecins sérieux.

En Asie du Sud-Est, il y a trois villes où les prestations médicales sont réputées : Bangkok, Singapour et Hong-Kong. Le 28 juillet, je rentre donc à Da Nang et je prends un billet pour le lendemain, direction Bangkok. Je contacte également mon assurance voyage et, grâce à « Colibri », je fixe un rendez-vous dans le meilleur hôpital de la Capitale thaïlandaise : « Bumrungrad International Hospital ».

****

Le 31 juillet, je rencontre un néphrologue. Je lui explique tous les événements et symptômes des quinze derniers jours. Sans délai, je fais une prise de sang, des tests urinaires et une échographie. Tous les examens sont globalement normaux. Il me recommande donc chaudement de consulter immédiatement un chirurgien orthopédiste pour faire une radio. J’ai des problèmes de dos depuis ma naissance. Je suis persuadée que mes douleurs actuelles ne sont pas celles liées à mon dos. Ma colonne vertébrale est source d’inquiétude et de nombre de maux depuis 40 ans. Aussi, je peste, je m’agace. Je suis en pleurs devant lui, car je suis épuisée que l’on ramène toujours toutes mes souffrances à mon dos. Cela fait 40 ans que ça dure et là c’est la goutte d’eau. Bienveillant, il m’écoute, me prend la main, comprend que je suis à bout, mais il m’invite tout de même à faire une radiographie. Il m’assure qu’on ne peut pas me laisser dans cet état et que toutes les pistes doivent être étudiées. Celle-ci est la première. J’entends chacun de ces arguments. J’accepte ce nouvel examen, convaincue cependant qu’il se trompe.

Une fois la radio passée, je rencontre le chirurgien orthopédiste. Il a une mine sérieuse, préoccupée. Je lui expose que je suis déjà au courant que j’ai une scoliose et de l’arthrose cervicale et lombaire importante pour mon âge. Certes, il est soucieux de tous ces aspects, mais son ton suppose qu’il y a quelque chose de plus. Sans m’en dire davantage, il m’informe que je dois faire une IRM très rapidement.

Cette nouvelle me fait l’effet d’un uppercut d’une violence inouïe. Je n’ai plus de voix, je n’entends plus. Je suis KO, mise au tapis directement. Ce n’est évidemment pas l’IRM qui me perturbe. J’en ai passé deux en avril pour confirmer le niveau d’arthrose cervicale et lombaire et m’assurer que la situation ne nécessitait pas d’opération ou traitement particulier. Mais c’est le fait que probablement mon dos est touché… et que je vais couler. Vu mon passif, je vais en avoir pour des mois de convalescence. Je peux dire adieu à mes rêves de voyage, de reportages, de nomadisme, de vie…

Me voyant hagarde, le médecin me répète encore et encore la même chose. Il cherche une réaction de ma part. Le seul mot qui sort de ma bouche c’est « OK ». Le ton, l’attitude, le comportement sans compter qu’il est l’oiseau de malheur porteur de mauvaise nouvelle, m’exaspèrent. Je veux que cela se termine. Je veux me terrer dans ma chambre d’hôtel et pleurer. Je veux hurler ma douleur. Je ne veux plus jamais le revoir. Je voudrais juste pouvoir me réveiller de ce cauchemar !

Mais l’adulte responsable reprend le dessus. Je réponds aux questions administratives et d’antécédents médicaux. L’examen coûte 28 000 bahts (environ 800 €). Je suis dans un tel état de fébrilité que je ne peux envisager d’attendre l’accord de prise en charge de mon assurance. Il faut que je sache et le plus tôt sera le mieux. Aussi, je confirme que je prendrai le premier créneau possible pour effectuer l’IRM. Ce sera dans 40 heures, le 2 août 2022 à 10 h 15.

Quand je rentre, ce 31 juillet 2022 à 19 h à mon hôtel, après avoir passé 5 heures à l’hôpital, je dois maintenant informer mes proches. Actuellement, aucun diagnostic n’est posé. Alors, que dire ? Au moment de ma chute, je n’avais pas beaucoup communiqué. Après quelques jours, je temporisais, minimisais les choses. Lorsque j’avais pris l’avion pour Bangkok, j’avais décidé d’être transparente. Cependant, comment faire part de mes pressentiments à plus de 10 000 km ? Comment gérer mes peurs dans un univers incertain ? Aucune méthode n’existe, je laisse parler mon cœur.

Puis, il faut lancer les démarches avec mes assurances. J’en ai deux : la première est intégrée à ma carte bancaire et l’autre est spécifique aux voyages. Sur les conseils de « Marsouin », je contacte, interpelle chacune d’elles pour avoir la meilleure couverture possible et avoir le choix. Toute la soirée, je leur explique donc ma situation, les événements, les symptômes. Je réponds également à tous leurs questionnaires médicaux et j’envoie les documents demandés. De toute manière, je suis dans un tel niveau d’angoisse que je ne peux dormir. Je boucle sur le pire, alors autant être productive.

Les 40 heures s’égrènent doucement. Je reste dans ma chambre entre appels à ma famille, aux assurances et films « feel good » pour essayer de positiver. Et puis, à un moment, il est temps de partir. Serrant Baloo tout contre mon cœur, je me dirige vers l’hôpital situé à 350 mètres de mon hôtel. J’ai le sentiment d’être une vache que l’on conduit à l’abattoir. Je retiens mes larmes et j’ai l’estomac noué de peurs.

Le personnel est adorable. Nous sommes tous masqués, mais je ressens leur bienveillance et leur gentillesse au travers de chacun de leur geste et de leur regard. On m’accompagne, on prend soin de moi. On m’explique chacune des étapes. On me rassure sur chaque action qui est effectuée… Bref, je suis hyper dorlotée et je me sens en confiance. L’examen terminé, je dois maintenant attendre 2 heures avant d’obtenir les premiers résultats et voir un chirurgien spécialiste de la colonne vertébrale. Par chance, ce n’est pas le même que la dernière fois. Peut-être qu’il faut deux médecins dans ce type de cas. Le premier joue le rôle du mauvais flic qui apporte la mauvaise nouvelle de manière abrupte et froide. L’autre joue le rôle du bon flic, gentil, empathique, coopératif.

Lorsque je rencontre le Dr S., son regard, son visage, son attitude bienveillante me rassurent. Sa voix est douce, posée. Avant d’aller dans le vif du sujet, il prend le temps d’échanger un peu. Et puis, à un moment, il faut bien se lancer. On n’est pas là pour jouer à la belote. Alors, il tourne son écran vers moi et le diagnostic est sans appel : j’ai la vertèbre T12 explosée. Elle n’est pas simplement fêlée, mais fracturée avec une perte de hauteur de près de 40 %. Dès que j’entends ces mots, je ne peux retenir la douleur fulgurante qui me vrille le cœur. Je pleure de toute mon âme sans pouvoir m’arrêter. Il me prend la main. Son assistante me serre dans ses bras et cherche à me réconforter. Elle m’apporte aussi un peu d’eau et quelques bonbons.

Après quelques minutes où je suis plus proche d’une loque que d’un être humain, j’arrive à me calmer et nous pouvons discuter. Il me demande si j’ai de la famille, des amis avec moi à Bangkok. Il est inquiet que je sois seule. Il cherche à savoir si des personnes seront présentes pour m’épauler. Puis, il me questionne sur toutes mes problématiques orthopédiques. Je lui explique et lui transmets également les IRM effectuées en avril dernier. Après comparaison, il a la confirmation que l’état de ma vertèbre est consécutif à ma chute. Il s’étonne très fortement qu’au Viêtnam, ils n’aient rien vu. Il ne comprend pas non plus comment j’ai pu tenir plus de deux semaines dans cette situation. Mais on ne va pas refaire l’histoire, il faut maintenant parler de la suite. Avec une délicatesse infinie, il m’informe que selon lui je dois être opérée rapidement. Rebelote, retour à l’état de serpillière. Il me propose de prendre le temps d’échanger avec mes proches et de revenir le voir un peu plus tard dans l’après-midi afin que nous poursuivions notre discussion.

Bien que mon hôtel soit à quelques minutes, je n’ai pas la force de m’y rendre. J’ai l’impression que des fers aux pieds m’entravent. Alors, je vais dans les toilettes pour hurler en silence. Recroquevillée en position fœtale, à même le sol de la cabine, Baloo dans les mains, je tombe, je capitule, je succombe… la douleur est telle que je suis en dehors de moi-même. Je suis à la fois anesthésiée et submergée par toutes mes émotions. Je reste dans cette cachette, loin du monde et des regards, le temps nécessaire pour essayer de reprendre courage. Puis, j’erre dans les couloirs de l’hôpital afin de trouver un endroit isolé. Je dois appeler mes parents, « Marsouin » et « Colibri ». La perspective de ce coup de fil me tord les entrailles, mais ils l’attendent. Il est 14 h à Bangkok, 8 h à Paris, sympa le réveil ! Dès la première sonnerie, j’entends leurs voix. Leurs premiers mots sont : « Alors, ma chérie ? ». Ils ont à peine fini leur phrase que les grandes eaux sont là. Hoquetant, je mets fin au suspens : « T12 cassée, intervention chirurgicale requise ». Une fois cette bombe lâchée, je retrouve mon calme et je leur explique tout. Une seule question se pose maintenant : « Où est-ce que je me fais opérer ? » À Bangkok ou à Paris ?

C’est impressionnant comme parfois on peut décider d’actions qui vont changer nos vies en un claquement de doigts. Certes, je ne suis pas adepte de tableaux Excel, de listes à n’en plus finir, mais tout de même… En un échange, soutenue par « Marsouin » et « Colibri », j’acte que l’intervention aura lieu à Bangkok si l’assurance valide sa nécessité et prend en charge les frais médicaux. Pourquoi me demanderez-vous ?

  • Il y a 13 heures de vol entre Bangkok et Paris sans compter les transferts en ambulance, entrée et sortie d’aéroport, contrôles de sécurité, j’en passe et des meilleurs… Si je suis rapatriée, je serai accompagnée d’un infirmier et je serai en « business class », mais je n’arrive pas à envisager la faisabilité de ce voyage.
  • Nous sommes début août, en pleines vacances estivales en France, qui va pouvoir m’opérer et où ? Je n’imagine pas commencer à faire des investigations et je ne suis pas certaine que l’assurance m’apporte son soutien dans cette démarche.
  • Le Bumrungrad International Hospital est a priori le meilleur hôpital privé de Thaïlande et il est mondialement bien coté.
  • J’ai confiance dans le Dr S. Certes, je ne l’ai vu pour l’instant qu’une petite demi-heure, mais j’ai le sentiment d’être entre de bonnes mains.
  • Si je rentre maintenant en France, jamais je ne repartirai. Cela m’impose de devoir gérer un double deuil dont je ne suis pas capable.

Je suis rassérénée par l’échange avec « Marsouin » et « Colibri » et nous convenons donc que la première chose à faire est de revoir le Dr S. pour l’informer de ma décision. Je suis seule face aux médecins et aux examens, mais ils sont à mes côtés à chaque instant, à chaque pas. Nous faisons front ensemble et la distance n’a aucun impact sur ce pacte de confiance, de transparence et d’amour mutuel.

Ici, tout va très vite. Sa consultation à peine terminée, il me reçoit. Il s’enquiert avant toute chose de mon état psychologique. Ai-je retrouvé un peu de sérénité ? Ai-je parlé à mes proches ? Ai-je besoin de temps ou d’un second avis avant de poursuivre ?

Focalisée sur l’objectif « Opération », mes sentiments sont comme anesthésiés. Ce n’est pas le moment d’avoir des états d’âme. Il faut maintenant caler les examens préalables à l’intervention chirurgicale et la date de celle-ci. Bizarrement, il est plus inquiet que moi que je sois seule. Alors il me demande si je souhaite que quelqu’un assiste en visio ou en audio à nos échanges pour me réconforter ou poser des questions. Je réponds par la négative en disant que Baloo (que j’ai toujours dans la main depuis le matin) sera mon soutien moral lors des différents épisodes médicaux.

L’opération est prévue dans 4 ou 5 jours, car il faut attendre l’accord préalable de l’assurance. Elle coûte une bagatelle variant de 750 000 à 900 000 bahts (soit entre 20 k€ et 25 k€). Par ailleurs, il m’informe que je resterai hospitalisée tant que je n’aurai pas retrouvé l’autonomie suffisante pour vivre seule. Une nouvelle fois, ce point le tracasse. De mon côté, je ne vois pas la source d’appréhension. Selon lui, 5 à 6 jours après l’intervention, je devrais pouvoir marcher normalement. Je n’aurais pas besoin de béquille, de déambulateur, de fauteuil roulant ou pire… Peut-être aurais-je un corset dans un second temps. Aussi, je retiens que je quitterai l’hôpital comme je suis rentrée : sur mes deux jambes, juste avec 8 vis et 2 tiges en titane en plus. Je mets donc son anxiété sur le plan culturel et j’occulte complètement les dimensions physiques, psychologiques ou émotionnelles.

Quand je sors de la consultation avec le Dr S. le mardi 2 août 2022, j’ai une longue liste de rendez-vous et d’examens à faire : tests sanguins, urinaires, radiographies, tests cardiaques, densitométrie osseuse, covid… Et un objectif : obtenir la prise en charge de l’intervention et des frais médicaux par l’une de mes deux assurances.

****

Curieusement, depuis que je sais que j’ai une vertèbre cassée et que je dois me faire opérer, la douleur est revenue de manière foudroyante. J’ai de plus en plus de mal à me déplacer et à être assise. Aussi, je reste alitée la plupart du temps et limite mes actions au strict minimum. Heureusement, j’ai tout ce qu’il me faut dans un rayon de 400 mètres :

  • Hôtel Citrus Sukhumvit 11 => Bumrungrad International Hospital : 350 mètres = 6 minutes
  • Hôtel Citrus Sukhumvit 11 => Supermarché Villa Market : 130 mètres = 2/3 minutes
  • Hôtel Citrus Sukhumvit 11 => Laverie : 300 mètres = 4 minutes

J’optimise mes déplacements à l’hôpital afin de regrouper au maximum tous les examens. Chaque membre de l’équipe : médecin, infirmière, aide-soignante… est d’une gentillesse et d’une bienveillance rares. Ils ont toujours un mot, un geste, une attitude qui me permet de me sentir en confiance et en sécurité. Lors de mes différents craquages ou crises de douleurs, ils sont là pour m’aider à reprendre mon souffle, à me calmer. Le Dr S. est mon phare dans cette tempête. Il est un père ou un frère de substitution, un ami, m’épaulant, me souriant, me réconfortant lorsque j’en ai besoin. Il ne me cache rien de ses interrogations. Il attend avec appréhension les résultats de ma densitométrie osseuse, car il ne comprend pas comment à mon âge une vertèbre a pu se fracturer d’une telle manière. De plus, cela aura beaucoup d’importance pour l’opération… Mes os supporteront-ils la pose des vis ? Par ailleurs, il essaie de me préparer au fait que les vis seront visibles. Pour lui, je suis trop « skiny », j’ai trop la peau du dos sur les os. C’est ridicule ! C’est bien la première fois qu’on me dit que je suis maigre.

Évidemment, ses craintes me terrifient. Mais heureusement, l’attente n’est que de courte durée. Pour la densitométrie osseuse, je suis dans la moyenne basse, ce qui est positif. Le Dr S. est donc confiant pour l’opération. À l’aide de visuels, il m’explique ensuite tout le déroulé et chaque acte de l’intervention. L’avantage d’échanger en anglais, c’est que je comprends ce que je veux, ou je feins de ne pas tout saisir ou de tout entendre. Je suis convaincue que parfois l’ignorance a du bon. J’ai déjà suffisamment de questions, de peurs en tête, pas besoin d’en rajouter.

La visibilité des vis est l’une de celles qui me tracassent le plus. « Marsouin » m’apaise. Il me dit : « Regarde mon épaule. Tu vois quelque chose ? Non ! Et pourtant j’ai des vis ! Ne t’inquiète pas, tu ne déclencheras pas d’alarmes aux aéroports, tu ne les verras pas et tu ne les sentiras pas. C’est compréhensible que tu aies peur, mais ne te fais pas un film, tu ne vas pas te transformer en alien ou n’importe quel monstre avec une épine dorsale proéminente ! »

À l’occasion de nos échanges pluriquotidiens, « Marsouin » et « Colibri » me proposent aussi de venir à Bangkok. Ils ont regardé les billets et peuvent arriver dans quelques jours. Outre le prix prohibitif des vols, pris en urgence, en pleine période estivale, pour la Thaïlande, je ne souhaite pas leur présence physique. Mais comment dire cela sans les blesser, sans culpabiliser ou me sentir une fille indigne ?

Pour l’instant, j’ai l’intuition profonde que mon besoin fondamental se limite aux médecins, aux infirmiers et au personnel de mon hôtel qui me facilite la vie. J’ai également le pressentiment que je ne pourrais pas affronter, gérer les émotions diverses, les discussions ou conseils en tout genre de la part de tiers et notamment des gens que j’aime. Pour l’avoir expérimenté quelques mois plus tôt, la situation peut être douloureuse tant pour le malade que pour « l’aidant ». Ainsi, mon unique aspiration est d’être à l’écoute de mes sensations sans interférences. Cela signifie pour moi : être seule à Bangkok. Il est tellement plus facile de se sentir soi, vulnérable et perdue, face à des inconnus.

Aussi, bien que je sois extrêmement touchée par ce nouvel acte d’amour, cette générosité, je refuse. J’ai envie de projets plus vivants et lumineux que celui de « Marsouin » et « Colibri » me tenant la main dans mon lit d’hôpital ou d’hôtel. Je leur propose plutôt de venir mi-septembre. J’espère que d’ici là, j’irai mieux et que nous pourrons profiter d’être ensemble. Leur présence au quotidien grâce aux moyens modernes est pour moi essentielle et suffisante. Je n’ai pas besoin de plus.

Il reste un dernier point : la prise en charge de l’opération. Dès le 2 août au soir, je sollicite une nouvelle fois mes deux assurances. Je pourrais m’enregistrer, car je répète inlassablement les mêmes choses. Le 3 août, celle liée à ma carte bancaire confirme la nécessité de l’intervention, mais refuse la prise en charge à Bangkok. Il me propose de me rapatrier sous deux jours en France. Cette option n’étant pas celle envisagée, il me reste plus qu’à tenter le tout pour le tout avec mon assurance voyage : IMG.

Pour ce faire, je suis en contact permanent avec Rhiannon, mon interlocutrice dédiée au sein d’IMG. Je lui communique chaque compte-rendu, lui transmets chaque élément afin de prouver que l’opération n’est pas la résultante d’un problème préexistant. Je passe des heures à envoyer des mails en anglais, à essayer de leur démontrer que ce n’est pas de la complaisance ou simplement du tourisme médical. Mais Rhiannon ne cesse de me dire qu’elle a besoin d’informations complémentaires, qu’elle est en attente de l’avis des services médicaux d’IMG.

Avec le décalage horaire, « Marsouin » prend le relais pour faire avancer les choses. Aussi, nous sommes sur le pont, moi à Bangkok et lui à Cabourg, pour recueillir un positionnement rapidement. L’opération est prévue le 7 août à 7 h du matin. J’ai jusqu’au 5 août midi pour obtenir la prise en charge par IMG.

Le 4 août, l’obligation d’une intervention chirurgicale est confirmée par IMG, mais le statut de mon dossier demeure obstinément en standby. Je dois fournir toujours plus de renseignements. L’assurance exige également une attestation sur l’honneur écrite par le Dr S. certifiant que la prestation se limite à la fixation de la vertèbre fracturée. Évidemment qu’elle effectue son travail d’investigations et qu’elle cherche à éviter les abus. Mais cela me parait tellement aberrant. Depuis quand les médecins sont comparés à des garagistes qui se servant d’une simple panne vont réparer tous les couacs de la voiture pour gonfler la facture.

Le 5 août au matin, ma fébrilité s’intensifie. Il ne me reste que quelques heures pour obtenir l’accord d’IMG. L’hôpital me met une pression de plus en plus forte. Sans réponse de l’assurance avant midi, ils devront annuler ou décaler l’opération à une date postérieure au 12 août. L’autre option qu’ils me proposent est de prendre en charge l’intervention puis demander le remboursement à IMG.

À 11 h 14, je reçois le mail tant espéré. Rhiannon me garantit que mon dossier va être validé dans les minutes/heures qui viennent. Elle a terminé sa journée, mais ses collègues la relayent. Cependant, les heures passent et l’accord officiel d’IMG se fait attendre.

Les services administratifs de Bumrungrad m’imposent de décider au plus vite. À force de négociation, expliquant ma situation, implorant leur compréhension, ils me laissent jusqu’au  6 août à 7 h.

Alors, je harcèle IMG. Je leur envoie des mails quasiment toutes les deux heures et j’ajoute aussi tous ceux que l’hôpital m’adresse. Je cherche à les appeler et quand je n’y arrive pas, c’est « Marsouin » et « Colibri » qui viennent à la rescousse. Bref, nous sommes à 3 pour trouver un interlocuteur et obtenir des réponses.

C’est à 1 h 30 du matin que la sentence tombe. L’opération ne peut être prise en charge en l’état actuel des choses. Bien que ce soit le milieu de la nuit, je hurle de douleur et de colère. Je suis à bout de nerfs. Demandant des éclaircissements, j’apprends que mon dossier est toujours en standby, car la preuve que ma fracture n’est pas préexistante à ma chute n’a pas encore été « authentifiée ». Rhiannon a donc besoin en urgence des IRM effectuées en avril et leurs comptes-rendus. Cela fait 3 jours que je leur propose de leur fournir et chaque fois l’option avait été refusée. Ils souhaitaient que ceux-ci soient transmis par le médecin et non le patient. Mais, on est en août et c’est les vacances… Il est essentiel de s’adapter ! Je canalise ma fureur et je les lui envoie. Une fois réceptionnés, il faut que les documents soient traduits en anglais puis visés par l’équipe médicale d’IMG et enfin que le positionnement final soit acté par le manager « Assistance » d’IMG. Elle me tient informée, mais le processus va prendre quelques heures. Elle me demande de temporiser avec l’hôpital. Elle connait l’urgence et fait de son mieux.

Il est 3 h du matin, je ne dors pas. Je regarde mille fois ma messagerie pour avoir des nouvelles. Rien. Je suis tétanisée. À 3 h 30, j’appelle « Marsouin » et « Colibri ». Cette situation d’attente est infernale, mais nous n’y pouvons rien. Nous sommes convaincus que le report de l’opération met potentiellement ma santé et ma mobilité en danger. « Marsouin » envisage alors le pari de payer en présumant que la prise en charge arrivera après. Mais, au regard du montant, entre 20 k€ et 25 k€, je refuse de jouer ça à pile ou face. Bien que ce soit insupportable, il faut patienter et espérer une réponse positive. En cas de rejet, nous aviserons.

Dès 7 h, le service des admissions de Bumrungrad m’appelle et me demande de me positionner. Côté IMG, je sais que la traduction des documents a été finalisée à 4 h 30, transmis à l’équipe médicale à 5 h, le comité se réunit en ce moment même. J’essaie donc de jouer la montre et je les supplie de patienter un peu. 9 h du matin dernier délai ! Au-delà, l’intervention sera reportée !

Étrangement, après une nuit sans sommeil et tous ces rebondissements improbables, je ne suis pas angoissée d’être opérée, mais de ce qui pourrait advenir si je ne le suis pas. Que vais-je faire si IMG ne donne pas leur accord ou trop tard. Aurais-je perdu 5 jours ? Quelles seront les conséquences ?

Finalement à 8 h 53, 7 minutes avant l’heure fatidique, je reçois le mail de confirmation de Rhiannon. Cette fois, le document officiel est joint. J’appelle immédiatement l’hôpital puis « Marsouin » et « Colibri ». Il est 4 h du matin à Cabourg, évidemment ils ne dorment pas. On se réjouit : l’opération aura bien lieu dans moins de 24 h. Comment peut-on d’ailleurs être heureux de passer sur le billard ?

Il faut maintenant coordonner les deux administrations (Bumrungrad et IMG) afin que tout soit en règle, faire mon dossier d’admission, ranger mes affaires, préparer un petit sac… Une fois que tout cela est fait, la peur revient. Cette fois, c’est celle de l’opération. Comment ça va se dérouler ? On parle du dos quand même… Qu’est-ce qui arrive s’il touche la moelle épinière… ? Vais-je finir handicapée ? En combien de temps vais-je me rétablir ?

Après une deuxième nuit sans sommeil, le 7 août 2022, à 4 h du matin, 23 h, heure de France, je passe un dernier appel à « Colibri », « Marsouin » et « Nounours » puis je quitte l’hôtel. En direction de l’hôpital, Baloo dans mes mains, je fais une prière à l’univers et à mes anges. J’espère que tout ira bien.

À 5 h, je franchis les portes du bâtiment B du Bumrungrad Hospital. Je donne les coordonnées de « Marsouin » et « Colibri » afin qu’ils soient informés de tout. À 5 h 15, une superbe tunique bleue sur le dos, je suis allongée sur un brancard. Je vois le sourire confiant du Dr S., puis l’anesthésiste… et sans que je m’en aperçoive le compte à rebours a commencé et je m’endors.

Si tout va bien, la suite de l’histoire sera à mon réveil !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.