Lac Toba ou le changement de décor !
Comment passer de la Charia à Bob Marley en restant au Nord de Sumatra ?
C’est très simple. J’ai pris le bus de nuit entre Banda Aceh et Medan. A la gare routière, cette fois-ci, je suis seule. Aguerrie par mon arrivée avec Ady, j’évite facilement et savamment tous les rabatteurs. Je trouve le minibus pour Berastagi. Puis, de là, encore trois minibus et un ferry pour rejoindre le lac Toba.
Tout au long de mon périple pour rejoindre la ville de Tuk Tuk, j’écoute de nombreuses histoires concernant le lac. Aujourd’hui, c’est une destination populaire. Sa découverte datant de la fin du XIXe siècle, les mythes font partis du folklore et des traditions . Voici les légendes du plus grand lac volcanique du monde :
- Il y a 75 000 ans a eu lieu ici même l’éruption volcanique la plus destructrice de tous les temps. La terre entière fut plongée dans une épaisse nuit de cendres qui ne se dissipa qu’après des années et un mini âge de glace. De cette époque, la terre a gardé une cicatrice, le plus grand et le plus profond cratère du monde.
- Un fermier attrapa un poisson qui se transforma aussitôt en une jolie jeune fille. Elle accepta de l’épouser et de lui donner un fils si le fermier jurait de ne jamais révéler son identité de poisson. Ils vécurent heureux jusqu’au soir où, dans un accès de colère, le fermier traita son enfant, Samo, de « fils de poisson ». Folle de douleur, la femme se mit à pleurer et plongea dans l’eau. Samo, terrifié, la suivit dans son trépas. Elle devint le « Lac Toba » et lui, « Ile de Samosir ».
Il y a des variantes à ce mythe répondant à d’innombrables questions : S’agit-il d’une princesse emprisonnée par un sortilège. Est-ce l’époux qui meurt au lieu du fils ? Le fils devient-il le premier des Batak ? N’y aurait-il pas des histoires de dragons ? De monstres terribles cachés par la brume et les profondeurs du lac protégeant la découverte de l’île et les incursions étrangères pendant des siècles ?
Cette virée augurait un changement de perspective !
Bienvenue chez les Batak !
C’est une ethnie vivant au Nord de l’île de Sumatra. La société Batak est divisée en « marga » dont les membres descendent d’un ancêtre commun. Ils pratiquent l’exogamie clanique, c’est-à-dire qu’on ne peut épouser un membre de sa « marga ».
Les propriétaires de mon auberge sont des Batak Toba, une des six ramifications Batak. Pour respecter la tradition, la première question posée auprès d’une femme est celle de son patronyme. Toutes les filles de l’île étant des sœurs, les touristes occidentales semblent de potentielles épouses. Je suis touchée par la détresse dans leurs regards. Ce principe les forcera peut-être à quitter l’île à un moment donné pour fonder une famille.
Evidemment il me questionne. Mon nom de famille n’a rien à voir avec le leur. Ils sourient. Je présente Steeve, ils sont heureux pour moi.
Je commence mon exploration par la ville de Tuk Tuk. Le premier signe distinctif de cette culture Batak, ce sont leurs habitations. De forme rectangulaire, elles reposent sur de grands piliers installés sur des pierres plates pour éviter l’humidité. Le toit abrupt ainsi que les avant-toits imposants constituent les éléments caractéristiques de cette maison. Ils donnent le sentiment d’être des vaisseaux prêts à prendre le large. Chaque maison peut abriter jusqu’à cinq ou six familles.
Ce sont également de grands sculpteurs de bois et de pierres. Leurs sculptures en bois représentent leurs pratiques rituelles. Les sculptures en pierre sont liées au monde funéraire: sarcophages et urnes. Elles sont aussi associées au monde surnaturel avec des effigies de leurs ancêtres et des statues magiques.
Bienvenue en Suisse ?
Après une exploration pédestre de la ville et de ses environs, je loue un scooter pour faire le tour de l’île. Aux abords du lac, je me crois en Suisse. La brume, le calme de l’eau entourée de montagnes, la nature verdoyante, les forêts de pins… Tout y est. Je suis loin des villes bouillonnantes que j’ai pu rencontrer jusqu’à présent.
Avec mon scooter, les kilomètres défilent. Le tour de 125 kilomètres me permet de découvrir les multiples visages de l’île : montagneux au Sud et un réel paradis agricole au Nord.
Je passe les vallons, les routes sinueuses à flan de volcan. Je suis seule sur la route. Il y a peu d’indications. Alors je suis mon inspiration et aux détours d’un chemin je découvre lacs intérieurs, cascades, végétations luxuriantes puis rizières et vergers. C’est la première fois que je loue un deux roues depuis mon arrivée en Indonésie. Retrouver la liberté de conduire, le vent sur mon visage et le soleil qui me chauffe le dos est un plaisir indescriptible.
Bienvenue en Jamaïque ?
Souvent la Jamaïque est associée au chanvre. Tuk-tuk, elle, est célèbre dans toute l’Indonésie pour ses champignons hallucinogènes : Les Toba Lake Magic Mushrooms ! Tout le monde en vend ici ! Chaque échoppe, chaque boui-boui, c’est usuel et légal.
Aussi ne vous étonnez pas si on vous propose des milkshakes banane champignons ou des gateaux aux champignons. Le plus trompeur pourrait être l’omelette aux champignons. Dans ce cas, assurez-vous de ce que vous voulez.
Tous les soirs, des concerts s’improvisent à l’auberge avec des personnes du village. Ils fument beaucoup de cigarettes qui font rire. Plus ils fument, plus ils sont inspirés, disent-ils. Alors rien d’étonnant qu’après quelques volutes et peut-être quelques champignons, ils s’écrient tous en cœur « Welcome in Jamaica ». Résonnent ensuite les premières notes de « I shoot the sheriff » de Bob Marley.
Lors de ces bœufs, toute l’auberge et nombres de personnes des environs sont présentes. Nous chantons tous ensemble. Nous bougeons au rythme des percussions. Peu importe qui nous sommes. Seul le moment présent existe.