Histoire d’une chute : dégringoler – 3ème partie
Malgré un repos strict, mes sessions de physiothérapie et d’acupuncture, j’ai toujours des vertiges et tous les troubles associés à mes malaises, une à plusieurs fois par jour. Quand je vois le Dr P., le 31 janvier 2023, elle semble vraiment préoccupée. Il n’y a pas d’amélioration, bien au contraire, et ce en dépit de mon traitement intensif.
Je me sens de plus en plus handicapée dans les gestes simples de la vie quotidienne.
- Je ne peux pas travailler, écrire sur mon ordinateur plus de 15 ou 20 minutes sans déclencher une crise.
- Je ne peux pas m’arrêter à un feu rouge quand je marche. Le ralenti de ma voiture interne bugge à chaque fois et cela me met en cale sèche immédiatement.
- En fonction de l’assise de la chaise sur laquelle je suis, cela provoque des nausées, des bouffées de chaleur, un sentiment de tangage.
- Lire parfois m’est difficile en fonction du positionnement de ma tête.
- J’ai failli tourner de l’œil dans les bureaux de l’immigration. Je demandais la prolongation de mon visa pour raison médicale, ils ont eu la preuve en direct que je ne mentais pas.
- La veille, j’ai cru que j’allais m’étaler de tout mon long en faisant mes courses dans un supermarché.
- …
Je suis perdue, désemparée, désespérée. J’ai une épée de Damoclès au-dessus de ma tête qui frappe quand elle veut. Et lorsque cela se produit et que je suis dehors, je dois m’asseoir au plus vite, par terre, jambes allongées, telle une clocharde. Parfois, j’arrive à atteindre des toilettes publiques et à me cacher du regard des autres. Je reste là à pleurer le temps nécessaire afin de pouvoir repartir.
Lors de ma consultation du 31 janvier, le Dr P. me ramasse donc une fois de plus à la petite cuillère. Elle voit bien que je suis à bout de nerfs. Elle me demande s’il ne serait pas plus raisonnable de rentrer en France et d’être en famille. Mais je réponds par la négative.
Mon entourage proche a du mal à gérer mon instabilité physique et émotionnelle. Je comprends que ce soit complexe de ne pas pouvoir agir, m’aider, être présents, de se sentir inutiles, de rencontrer des difficultés à trouver les bons mots qui apaisent. C’est ainsi que leurs conseils, à base de « il faut », « il ne faut pas », « tu dois », « tu ne dois pas »…, voire « tu devrais », « il faudrait », m’exaspèrent de plus en plus. Je sais bien que c’est leur façon d’exprimer leur anxiété voire leur amour, mais cela m’est invivable, insupportable. Ils ne peuvent imaginer ma cruelle réalité. Si leurs idées fonctionnent sur le papier, elles sont absurdes et intenables dans la pratique. Je ne maîtrise plus mon corps. J’ai l’impression d’être un pantin handicapé.
Aussi, quand on me dit : « Tout ira bien, calme-toi, respire ! Tu verras tu sortiras grandi de tout cela. Tu seras plus forte, plus sage, plus… ». Je réponds hors de moi : « Je n’en ai rien à foutre d’être plus « blablabla » quand je serai vieille… Et puis toi qui sais tout, comment sais-tu que tout ira bien ? Connais-tu la date de ton « quand » ? As-tu une idée de ce que je traverse ? » Facile de dire : « Calme-toi et respire », prends ma place, mon handicap au quotidien !
J’ai conscience de perdre patience rapidement et de démarrer au quart de tour. Alors, pour ne pas les blesser plus que je ne le fais involontairement, être capable de me battre et garder mon esprit de guerrière, il faut que je sois seule. Chacun agit comme il le peut dans ce type de circonstance. Chacun fait face à la maladie avec ses armes. Pour moi, mes médecins et la présence à distance de « Colibri », de « Marsouin » et de mon « Mage » me suffisent et me donnent le courage d’avancer.
Alors, nous décidons avec le Dr P. d’attendre les résultats des examens ophtalmologiques, de poursuivre mon traitement intensif de kiné et d’acupuncture et d’être attentives à l’évolution des symptômes au cours des dix prochains jours. Avant de la quitter, elle me demande de la tenir informée immédiatement si la situation se dégrade. Elle me souhaite du courage et de garder espoir. « We won’t leave you like this! We will find what you have and help you! I give you my word! »
Quand je rencontre l’ophtalmologiste, son objectif est de tester ma vue et regarder si je n’ai pas un glaucome. Je n’ai jamais voulu faire des études de médecine, mais depuis que je suis tombée, force est de constater que mes connaissances en la matière se développent. Aussi, même si je ne sais pas exactement de quoi il s’agit, le terme de glaucome ne me dit rien qui vaille. Alors, on me fait passer différents tests : la réfraction, un fond de l’œil, des examens pour vérifier mon champ visuel, mon cristallin, la pression et la tension de mes yeux et enfin la grille d’Amsler. À la fin d’une matinée où mes prunelles ont été analysées par tous les moyens non invasifs possibles, le médecin me reçoit. Conclusion : « Tout va bien. Pas de glaucome. Votre vue a légèrement changé, mais c’est lié à l’âge. Si ça ne s’arrange pas retourner consulter un neurologue. »
Alors dans un sentiment mêlé de joie (« je vais bien ») et de frustration (« on ne sait toujours pas ce que j’ai »), je réintègre mon l’hôtel. En rentrant d’Ao Nang, je ne souhaitais surtout pas reproduire ce qu’avait été ma vie au Citrus. Mais je me rends compte que je convertis cet endroit en sanctuaire. C’est ainsi.
Je continue comme je peux. Les jours s’écoulent et je m’enlise. Je sors de moins en moins sauf pour aller à l’hôpital. Je n’ai pas envie de parler ni de voir des gens. Dès que je discute avec « Colibri », « Marsouin », mon « Mage » ou d’autres, je me transforme en serpillière ou en fontaine si on veut garder un côté poétique. Alors je préfère me recroqueviller et entrer dans ma grotte intérieure. C’est mon seul moyen de survie. Cependant, un jour, lors d’un échange avec mon « Mage », je ne sais comment, il arrive à réveiller mon côté positif, à faire renaitre une flamme de vie. Je suis tellement heureuse à la fin de notre conversation que je décide de m’offrir une parenthèse enchantée chez « Pierre Hermé ». Ce sera une belle récompense après l’enfer de ces derniers temps.
En cette mi-février, le trajet pour m’y rendre est très agréable. Je retrouve un peu de simplicité et du plaisir à me balader, à sourire. Quand j’arrive dans la boutique, les merveilleux arômes provenant des pâtisseries, du café, embaument. Le lieu est raffiné. Tout m’incite au bonheur, à la joie, à la délicatesse et à la légèreté. C’est exactement ce qu’il me faut ! Je commande alors quelques macarons, un thé et je pars m’installer avec un livre dans cette salle au style Art déco. Le serveur vient juste de déposer devant moi mes douceurs que je sens monter mes maudits symptômes. Cette fois, ils progressent vite, trop vite. J’ai à peine le temps de demander une boite et un gobelet pour emporter mes gourmandises que je me rue dehors. Je croise en sortant mon reflet, je suis livide.
Comment vais-je rentrer ? Lentement ! À pieds ! Je ne peux pas prendre le risque d’être bloquée dans le métro ou dans un taxi. Ça ne ferait qu’empirer les choses. Je ferai donc autant de pauses que nécessaire en me réfugiant dans des toilettes ou en m’allongeant n’importe où ! 4.7 kilomètres me séparent de mon lit. Un pas après l’autre, je réussirai.
Après plus de deux heures et demie de marche et d’arrêts improvisés, j’arrive enfin saine et sauve, chez moi. Je suis psychologiquement très ébranlée, physiquement à l’état d’épave et émotionnellement, je n’en parle pas. J’ai eu peur… très peur… trop peur et j’étais tellement seule. Avant de me réfugier au fond de mon lit, j’appelle « Marsouin » et « Colibri ». Je les avais eus au téléphone lorsque j’étais en chemin et ils avaient encaissé la nouvelle. Il faut a minima que je les rassure. Mais c’est eux qui, comme d’habitude, me soutiennent, me réconfortent. « Marsouin » propose même de débarquer à Bangkok pour une semaine d’ici quelques jours pour m’épauler. Mais je refuse. Pour moi, s’il me rejoint en urgence, c’est que c’est grave. Pour le moment, la seule chose que l’on sait, c’est qu’on ne sait pas. Alors, ce n’est pas la peine. Je pourrai affronter les examens qui s’annoncent avec eux et mon « Mage » à distance. Je préfère les retrouver à l’occasion de mon anniversaire mi-mars. Le rendez-vous est pris.
En attendant, le lendemain, le 11 février, je rencontre un nouveau neurologue. Au regard de mes symptômes et de mes troubles qui s’aggravent, elle souhaite qu’une IRM cérébrale soit réalisée. Elle la planifie dans 48 h. Elle veut aussi que je retourne voir dès aujourd’hui le cardiologue.
Il me reçoit une heure plus tard. C’est le même que celui du tilt test. Qui sait en quelques semaines, il aura peut-être appris la pédagogie et la bienveillance ? Au regard de l’évolution de mon hypotension orthostatique, il souhaite que je prenne des corticostéroïdes. En plus, il veut que j’effectue immédiatement un test d’effort. Je le mets en garde que je ne peux pas courir et que je dois être attentive en raison de mon opération six mois plus tôt. « Aucun souci, vous marcherez vite. Et dans l’ordre des priorités, vérifier votre cœur est plus important que votre dos ! »
Alors une fois de plus, on me couvre d’électrodes, on me branche à plein de machines. Puis, on me colle sur un tapis roulant. Comme, je me tue à le dire marcher n’est pas mon problème. J’atteins sans effort les 150 pulsations minutes et bonne nouvelle il n’y a aucune différence « avant » et « après » le test de stress à l’échographie cardiaque. Le cardiologue, fier de lui, comme toujours, me confirme le diagnostic initial d’hypotension orthostatique et il m’invite à prendre les médicaments prescrits. Il y a des effets secondaires notables, mais ma tension sera moins basse.
L’histoire serait trop belle si elle s’arrêtait là. Je suis dans la cabine en train de me rhabiller quand tout d’un coup, j’ai des vertiges fulgurants. Mes jambes se dérobent sous moi et je finis étendue à moitié nue sans pouvoir bouger. J’arrive juste à me hisser vers la cordelette « Emergency », mais je n’ai aucune stabilité. J’ai l’impression de tanguer. Une infirmière me trouve en pleurs, en nage et suffocants. Avec ces collègues, elles me mettent une blouse et me déplacent jusqu’à un brancard. Tension artérielle : 8.4. Elles épongent mes larmes, me passent un linge humide et me forcent à boire les mauvais jus trop sucrés. Il m’avait semblé que le test d’effort était plus simple que le tilt test, ce qui est vrai. Mais malheureusement, j’ai terminé ces deux examens exactement de la même manière : épave, loque, serpillière et tout synonyme que vous pouvez imaginer.
On me relâche au bout d’une heure et demie quand ma tension a atteint les 9.5. Je demande à rencontrer de nouveau le cardiologue. On me communique qu’il est occupé à une urgence, qu’il a été informé de mon malaise et que sa réponse est : « prise de corticostéroïde et rendez-vous dans 10 jours ». À la question que je me posais à savoir si la posture de ce cardiologue avait évolué ces dernières semaines, mon sentiment est définitivement NON.
Je rentre en taxi chez moi et je file sous ma couette. Avant de sombrer, je décide que la prochaine sortie de ma grotte sera dans deux jours pour l’IRM. Aucune nécessité de le faire plus tôt.
Je passe comme convenu l’IRM cérébrale le 13. Ce qui est difficile, ce n’est ni l’examen, ni d’être à jeun depuis 12 heures, mais les 24 h d’attente d’angoisse avant et après pour avoir les résultats. Lorsque je vois la neurologue le lendemain, le 14 février, elle est souriante. Tout est normal à l’IRM.
Puis, elle m’expose avec pédagogie ma problématique et les raisons pour lesquelles il est complexe de poser un diagnostic. C’est la première à me donner un semblant d’explication. Elle m’informe qu’il n’y a aucun examen qui permet de tester le système nerveux végétatif. Il faut donc procéder par tâtonnement en établissant un arbre des causes. Voici un point de la situation concernant les origines potentielles du dysfonctionnement :
- ORL – KO : tout est OK
- Équilibre — KO : tout est OK
- Yeux — KO : tout est OK
- Cœur — KO : tout est OK à l’exception de l’hypotension orthostatique qui passera un jour
- Neurologique
- Dues aux tissus — KO : tout est OK
- Dues à un problème veineux : à tester prochainement. Elle souhaite que j’effectue dans une semaine quatre examens supplémentaires, dont une nouvelle IRM
- Liées à mon opération dans la zone thoracique. C’est une option envisageable. Si tel est le cas, alors il n’y a rien à faire. Seul le temps améliorera la situation.
La semaine file comme si j’étais dans un trou noir. Je me rends compte que j’oublie rapidement ce qu’il s’est passé ces derniers temps. J’essaie de tout tourner en dérision afin de ne pas avoir peur. Je reste au présent, prête à affronter chaque jour une nouvelle crise, un autre diagnostic potentiel à vérifier. Je me sens de plus en plus déconnectée de mes émotions. En fait, il n’y a pas de place pour ça. Alors, je suppose qu’à un moment donné mon cerveau a disjoncté pour me permettre d’endurer l’angoisse, la souffrance et m’éviter de dégringoler au fin fond d’un abysse duquel je ne reviendrais pas indemne.
Arrive enfin le 20 février et la découverte de nouveaux sigles barbares : EEG, EMG, AMR ou Angio-IRM et des tests sanguins dont je ne connais aucun des éléments analysés. Comme d’habitude, l’IRM nécessitant d’être à jeun depuis plus de 12 h, je commence par ça. Peut-on en rigoler et dire que je deviens rompue à l’exercice ?
Après, c’est l’EEG ou électroencéphalogramme. On m’allonge sur un brancard et on me pose des électrodes sur le cuir chevelu à l’aide d’un gel conducteur. L’objectif est de mesurer et d’enregistrer l’activité électrique de mon cerveau. Y’a-t-il de la lumière ou une toile d’araignée là-haut ? Pour le savoir, le praticien me fait ouvrir et fermer les yeux à plusieurs reprises, respirer profondément pendant cinq minutes et me met un stroboscope en plein visage pour voir ma réaction. Heureusement que je ne suis pas épileptique, si cela avait été le cas, je n’aurais vraiment pas aimé cet examen.
Ensuite, c’est le tour de l’EMG ou électromyogramme. Celui-là enregistre l’activité électrique des nerfs et des muscles. Il m’a été prescrit pour rechercher d’éventuelles maladies neuromusculaires, des compressions ou lésions de nerfs ou encore des myalgies. Son but est aussi sympathique que son déroulé. Arrêtez tout, c’est trop de bonheur ! Mais non, ça continue.
Toujours allongée sur un brancard, cette fois on me colle des dizaines d’électrodes aiguilles qui sont piquées directement dans les muscles. Par la suite, on me demande de les contracter, ou pas. Évidemment, sinon ce ne serait pas drôle, on le fait pour mes membres inférieurs et supérieurs. Enfin, on m’envoie des impulsions électriques au niveau des fibres nerveuses pour analyser l’activité de chaque muscle. Pour être honnête, ce n’est pas particulièrement douloureux. Mes séances d’acupuncture sont un supplice bien plus grand. Mais qu’est-ce que c’est désagréable ! Et puis, j’en ai marre, ça fait 16 h que je suis à jeun ! Et ça tombe bien, c’est bientôt la fin. L’infirmière m’emmène pour effectuer les prises de sang. Et là, elle utilise tellement de fioles différentes que je me demande bien ce qu’ils cherchent. Mais je ne souhaite pas le savoir. Je veux juste rentrer, me coucher et que les 24 h qui me séparent des comptes-rendus passent vite. J’en ai assez d’être terrifiée après chaque examen.
Le lendemain, mon entretien avec la neurologue est bref. Bonne nouvelle, l’EEG, l’EMG et l’AMR sont normaux. Elle attend toujours mon bilan sanguin. Aussi pour elle, sauf si les résultats à venir sont en opposition, j’ai ou j’ai eu une lésion médullaire due à mon accident ou à l’opération. Dans ce cas, il n’y a rien à faire.
En sortant de son bureau, je suis hagarde. J’ai l’impression de dévisser, de perdre complètement pied. Je ne sais plus si je dois être heureuse (« examens sont bons ») ou angoissée (« hypothétique lésion médullaire »). D’ailleurs, c’est quoi ? Et là, je commets l’erreur que je m’étais promis de ne jamais faire : je fais appel à mon ami Google. Et voilà sa réponse : « Par “lésion de la moelle épinière” (ou lésion médullaire), on entend les atteintes à cet organe résultant d’un traumatisme (accident de voiture…) ou d’une maladie ou dégénérescence (cancer…)… (Conséquences) Il peut y avoir une perte partielle ou complète de la fonction sensorielle ou de la motricité des bras, des jambes ou de l’ensemble du corps. Les lésions les plus graves affectent les systèmes de régulation des intestins, de la vessie, de la respiration, du rythme cardiaque et de la pression sanguine ». Un immeuble de cent étages vient de me tomber dessus !
Je suis en train d’errer le long du canal près de l’hôpital. Je suis seule. Alors, je laisse hurler ma rage, ma colère, mon exaspération, mon désespoir. Je suis en pleurs et je ne peux me contenir, me calmer. Je termine par terre, les genoux recroquevillés sur ma poitrine. Je regarde dans le vague pour m’apaiser.
Une fois que j’ai retrouvé un semblant de sérénité, je prends la décision de ne pas informer « Marsouin » et « Colibri » de la dernière hypothèse médicale. Je me répète comme un mantra : « La seule chose que l’on sait, c’est que l’on ne sait pas. Le pire n’est pas obligatoire ! ». De fait, cela ne sert à rien de les inquiéter pour rien. En revanche, j’ai besoin d’en parler et de vider mon sac. Par chance, j’ai un échange de prévu avec mon « Mage » dans une heure. En attendant, je laisse aussi un message à l’ami cardiologue de « Marsouin » et « Colibri ». Deux avis valent mieux qu’un.
Mon « Mage » me récupère dans un état indescriptible. Je lui parle du diagnostic envisagé et du fait que je n’arrive plus à décider si je dois poursuivre mes investigations ou tout arrêter. Je lui avoue que je suis à bout et que je sais à peine comment je m’appelle. Il me répond que mes médecins ne manquent pas de créativité, que cette théorie est surprenante. Puis, il m’écoute, me réconforte, m’aide à me libérer de toutes les frayeurs accumulées.
En parallèle, j’ai l’ami cardiologue au téléphone. Pour lui aussi, cette supposition est très étonnante. Il m’invite à revoir son homologue de Bumrungrad et de refaire un point avec lui. Ça tombe bien, j’ai un rendez-vous de suivi avec lui demain ainsi qu’avec le Dr P. et ses aiguilles.
Le Dr P. m’accueille en me demandant comment je vais. Cela fait 10 jours que je n’ai pas eu de séance avec elle. Elle est abasourdie par le nombre de médecins rencontrés, d’examens effectués et de diagnostics potentiels envisagés durant ce court laps de temps. Je lui raconte tout ce qu’il s’est passé. Évidemment, je craque et pleure toutes les larmes de mon corps. D’ailleurs, vu le flot intarissable de sanglots depuis sept mois, je me demande comment je peux avoir encore autant de réserves ! Elle comprend mes souffrances, mes inquiétudes, mes doutes. Alors, elle cherche à déminer le terrain et à positiver. Jusqu’à présent, sur la base de dizaines d’examens où j’ai été mise entre lame et lamelle, je suis en bonne santé. De plus, selon elle, la dernière opinion donnée par la neurologue est infondée. Il faut continuer la kinésithérapie et l’acupuncture, cela portera ses fruits avec le temps.
Je sors ragaillardie par notre échange. En plus, je suppose qu’elle a eu pitié de moi aujourd’hui, car la session de « dry needling » n’a pas été un supplice. Je suis donc d’attaque pour rencontrer mon pédagogue de cardiologue.
Bonne nouvelle, lui aussi atteste que l’idée d’une lésion médullaire est plus que farfelue. Cependant, il souhaite comprendre pourquoi j’ai fait un malaise après le test d’effort la semaine passée. Avec mes mots et aidée des statistiques de ma montre connectée, je lui explique, encore une fois, que j’ai un problème de ralenti ou que j’ai du mal à décélérer. Pour être plus explicite, en marchant normalement, je monte très rapidement à plus de 130-140 pulsations minute, mais dès que mon rythme cardiaque redescend approximativement à 100-110, la crise intervient. Au repos, je suis autour de 60 – 65. Ainsi, selon moi, mes malaises surviennent à chaque fois que je dépasse les 100 et qu’ensuite je dois diminuer ma vitesse. Évidemment, ma métaphore automobile pour parler de mon cœur qui ne sait pas freiner tombe à plat. Résultat : il souhaite des données scientifiques. Logique ! On me pose donc dans la foulée un Holter pour 24 h. Grâce à un boitier et les électrodes placés et scotchés sur mon buste, tous mes battements cardiaques vont être enregistrés. En parallèle, je dois renseigner une fiche mentionnant l’heure, l’activité et les symptômes à chaque épisode critique.
Quand je le vois le lendemain, je lui annonce que j’ai fait 5 crises en 24 h. Cela ne semble pas l’émouvoir une seconde. Évidemment ! Ce n’est pas lui qui les subit ! Pour lui, après analyse des résultats, tout va bien. On prend juste un rendez-vous de contrôle dans un mois. Cependant, mon bilan sanguin montre une anomalie inquiétante. Je dois aller voir immédiatement un immunologue/rhumatologue. Une infirmière s’est déjà chargée de bloquer un créneau dans une demi-heure.
Sidérée par ce rebondissement, j’arrive à la consultation totalement interdite. Quelle va être la créativité du jour ? La sentence tombe : « Anti cenp b » positif, cela signifie une éventuelle sclérodermie. Voilà un nouveau mot qui fait froid dans le dos.
Et là, je bugge. Je ne comprends pas ce que l’immunologue me raconte, ce que je dois faire… Il répète, j’essaie d’intégrer, mais je n’ai plus la faculté de décoder. Je suis un lapin pris dans les phares d’une voiture et incapable de bouger. Le médecin se rend compte de mon état, il saisit ma main et me parle doucement, comme à une enfant tétanisée. Peu à peu, je réintègre mon corps et je suis de nouveau apte à communiquer avec lui. Il m’explique les prochaines étapes : bilans sanguins et urinaires complets que je dois faire en sortant de son bureau et examen méticuleux à la recherche d’anomalies vasculaires de la peau ou des articulations. Après auscultation, je n’ai aucun stigmate sur le corps qui vise à créditer la thèse d’une sclérodermie. Cependant, nous devons attendre les résultats des tests pour véritablement exclure cette maladie. Ils seront prêts dans trois jours.
Alors je retourne dans ma grotte intérieure. Elle ressemble de plus en plus à un trou noir. Je n’en sors que pour aller à Bumrungrad, quelques heures quotidiennement depuis le 11 février.
Le 26 février arrive, et bonne nouvelle, l’« Anti cenp b » était un faux positif. En revanche, le nouveau bilan sanguin montre un problème aux reins. L’immunologue m’envoie donc en urgence voir le néphrologue. C’est une histoire de fou, un mauvais gag… Quand vais-je m’échapper de cet enfer ?
Quand je suis face à lui, je me rends compte que c’est le premier médecin que j’ai rencontré à l’hôpital Bumrungrad, le 31 juillet 2022. C’est lui qui m’avait incité, malgré toutes mes réticences, à passer une radiographie du dos.
Je perçois à son regard qu’il est étonné de me revoir. Il étudie mon dossier, qui doit peser quelques tonnes maintenant, et me demande de lui raconter tous les événements de ces sept derniers mois. Mon exposé terminé, il me fait part de ses doutes et incompréhensions. Mes reins fonctionnaient normalement quand je l’ai consulté à l’été 2022. C’était toujours le cas lors des différents bilans sanguins effectués mensuellement jusqu’en novembre 2022. Il s’interroge sur ce qui a pu dérégler aussi fortement mon système rénal en si peu de temps, car certains de mes taux sont alarmants. Il me demande donc d’arrêter immédiatement tous les médicaments, compléments alimentaires ou autres à partir de maintenant. Nous referons des bilans sanguins et urinaires dans trois jours. En fonction, nous aviserons. Si besoin, il me mettra sous dialyse. Au secours ! Sortez-moi de là !
En moins d’une semaine, c’est le troisième uppercut que je me prends en pleine gueule sans l’avoir vu venir une seule seconde. C’est beaucoup trop ! Il faut que cela s’arrête ! Quand je retourne dans ma grotte en quittant l’hôpital, je décide que je n’en bougerai pas avant le 1er mars. Je suis épuisée des allers-retours quotidiens à Bumrungrad, éreintée par la créativité médicale même si c’est pour mon bien, terrassée par l’angoisse. En plus, je vais devoir gérer mes souffrances dorsales sans antidouleurs et anti-inflammatoires… Jusqu’à présent, je n’ai jamais réussi à tenir aussi longtemps sans calmant. Mais il faut savoir choisir entre deux maux. Je décide d’affronter celui connu. J’ai conscience que je vais déguster, mais je suis capable d’endurer cela.
Quand le 1er mars 2023 arrive, je sors de ma tanière pour effectuer les tests sanguins et urinaires prescrits. Puis, j’attends quelques heures les résultats avant de retourner voir le néphrologue. Il me reçoit avec un grand sourire. Tout va bien. Tous les taux sont revenus à la normale. Il me demande donc de gérer mes antidouleurs avec parcimonie en évitant surtout tous les AINS (anti-inflammatoires non stéroïdiens) tels que l’ibuprofène.
En quittant son bureau, je considère que la boucle est bouclée. Mon premier et dernier médecin consulté a été le néphrologue. En plus, la période est de sept mois, 31 juillet 2022 – 1er mars 2023, ce qui est la durée de gestation d’une ourse noire. Enfin, février 2023 n’a été qu’un long et infernal tunnel sans fin dans lequel j’ai perdu mon lumineux et soyeux pelage.
Exténuée et traumatisée, je n’ai plus qu’une seule conviction lorsque je franchis le seuil de Bumrungrad ce jour-là. Mon corps prendra le temps dont il a besoin pour se remettre, mais j’arrête d’être un rat de laboratoire !