Histoire d’une chute : transformer un marshmallow en caramel mou – 2nde partie
Quand « Marsouin » et « Colibri » atterrissent le 20 septembre 2022 et qu’ils me rejoignent au Citrus, c’est un pur moment de joie et de bonheur partagé. C’est la première fois en un mois et demi qu’on me prend dans les bras. Ce geste simple est plus fort que tout. Il efface les peurs, les souffrances. Il ne révèle que l’amour que l’on se porte.
Grâce aux progrès réalisés, avant qu’ils n’arrivent, j’avais envisagé de quitter Bangkok avec eux. Je voulais aller au bord de la mer, changer de décor et surtout faire une pause dans mes visites tous les deux jours à l’hôpital. Mais la réalité me rattrape, car je me rends compte, et les médecins me le disent, que c’est trop tôt.
Le principal est d’être ensemble. Et ils font une fois de plus le travail de parents vis-à-vis de leur enfant. Ils me donnent confiance, me rassurent, me protègent, me racontent des histoires et me bordent avec mes poches de gel quand c’est nécessaire.
Ils m’aident également à franchir une étape : aller acheter une valise. Je le sais depuis l’opération, porter mon gros sac à dos m’est impossible. Actuellement, mon dos supporte un poids variant de 1 à 2 kg… alors un sac de 12 kg à 15 kg, c’est impensable. Mais bien que ce soit la décision la plus rationnelle qui soit, c’est un crève-cœur de devoir accepter ce changement de condition. Assez bêtement, je considère qu’avoir une valise, c’est un truc de vieux. Dans aucune de mes représentations, un baroudeur, un explorateur, un nomade ne se trimballe avec une grosse malle à roulettes. Mais il faut se rendre à l’évidence, je ne suis plus une globe-trotteuse. Je suis une malade avec huit vis qui ne peut partir à l’aventure ou simplement se déplacer facilement. Alors, symbole de cette navrante situation, la valise est un passage obligatoire.
Ils me permettent surtout de faire des activités que je n’osais pas faire seule. Ainsi, grâce à eux, je prends notamment le métro, un bain de foule dans China Town, je visite le musée Jim Thompson et des temples (Wat Arun, Wat Saket…), je me rends aux marchés de Chatuchak et de Khlong Toei. On va parfois au restaurant. On admire Bangkok de nuit…
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Cependant, la plupart du temps nous faisons dînette le soir dans ma chambre. En plus d’un mois et demi au Citrus, je suis devenue une chef de la gastronomie avant-gardiste d’hôtel. Je prépare de succulentes salades dans une salle de bain, assise sur les toilettes. Je sublime les œufs avec une cuisson à la bouilloire. Je tente de nombreuses recettes, toujours à la bouilloire : soupe, bouillon, raviolis… De vous à moi, seule la technique des œufs durs est à retenir.
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L’un des plus beaux cadeaux qu’ils me font vient d’une simple idée touristique : aller à la tour Mahanakon. Haute de 314 mètres, on a une vue à 360 degrés sur tout Bangkok. Mais ce qui est le plus précieux n’est pas de se rendre sur cette tour dominant la ville. Portant pour moi mon appareil photo sur tout le trajet sans savoir si j’allais l’utiliser, ils m’ont offert la joie de retrouver un plaisir inestimable : celui de prendre des photos. Cela faisait deux mois que mon appareil ramassait la poussière, car je ne pouvais le charrier. Considérant également que mes ambitions passées étaient mortes et enterrées, je me disais que cela ne servait à rien de le transporter. Je ne ressentais plus le goût de capturer des clichés de la vie. Ainsi, ils m’ont donné l’envie et l’espoir qu’avec le temps, tous les rêves (re) deviennent possibles. Ça n’a pas de prix !
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Quand ils rentrent à Paris le 5 octobre, je me sens plus forte, plus courageuse et déterminée à sortir grandie de cette épreuve. Je suis convaincue que des jours heureux vont revenir. D’ailleurs, le 8 octobre 2022, je vais fêter mes 3 ans d’anniversaire de voyage. Ce sera le symbole d’un renouveau.
Cependant, ce jour arrive et je suis clouée au lit, car le Dr S. m’a changé de traitement. L’ultracet est lui aussi à base de tramadol, mais il est moitié moins dosé. Ainsi, outre le sevrage, la douleur m’empêche de sortir et je retrouve malheureusement des affres de souffrance connues. Après quelques jours, ayant toujours tellement mal, je retourne voir mon chirurgien qui accepte de me prescrire de nouveau du tramadol. Bien que mon rétablissement soit plus lent que prévu, tout est parfaitement normal. Je n’ai pas de raison de m’inquiéter. Il faudra juste de la patience, continuer mes exercices de renforcement musculaire et mes séances de physiothérapie tous les deux jours pendant encore plusieurs semaines ou mois.
Je continue donc mon train-train de marche, de kiné et de dînette au Citrus. Sur les conseils du Dr S., j’agrémente ce programme de freestyle. Je n’ai jamais nagé le crawl correctement. Au bout de deux mouvements de bras, je me noie ou je suffoque. Comme c’est la seule technique validée par mon chirurgien, je décide de prendre des cours. Je suis heureuse de relever ce défi inattendu, d’apprendre quelque chose de nouveau et surtout de retrouver le plaisir de l’eau. Immergé, mon corps est en apesanteur. Aucune douleur, aucune difficulté. Juste un sentiment total de bien-être. D’ailleurs, comme je suis autorisée à nager, peut-être que le Dr S. me donnera sa bénédiction pour que je fasse de la plongée sous-marine bientôt ? Peut-être pour le Nouvel An, pour commencer l’année sous de nouveaux auspices ? Je vais lui en parler ! En attendant, je décrète que lorsque je pourrai faire de la plongée, je serai guérie et je pourrai retrouver ma vie.
Mais le 20 octobre, une existence libre me semble tout d’un coup compromise à court, moyen et long terme. J’ai à peine marché huit minutes jusqu’au métro et je n’ai effectué que deux stations quand je me sens très mal. J’ai des bouffées de chaleur et la nausée. Mon rythme cardiaque s’accélère tellement vite que j’ai l’impression que mon cœur va sortir de ma poitrine. J’ai du mal à respirer. Ma vision se trouble. Mes jambes semblent ne plus pouvoir me porter. J’ai des vertiges. J’ai la sensation que je peux tomber dans les pommes d’une seconde à l’autre. Je me cramponne à une poignée et je prie pour que nous arrivions rapidement à la prochaine station. Une fois arrêté, je me rue hors du wagon aussi vite que mon corps y consent. Nous sommes à « Siam ». Il y a un accès à un très grand centre commercial directement après l’escalator. Peut-être que les 20°C produits par l’air conditionné me permettront de récupérer. Alors tout doucement, petit pas par petit pas, me tenant comme une petite vieille à toute chose, j’arrive à franchir les portes. Je me dirige vers l’aire de restauration pour pouvoir m’asseoir et boire quelque chose de sucré. Une fois posée, je reste là. J’attends de retrouver une respiration stable et un rythme cardiaque normal. Une seule pensée m’assaille : « comment vais-je faire pour rentrer ? ». Après un temps infini, je considère que l’unique solution est de retourner au Citrus à pied. Certes, il y a environ 40 minutes de marche, mais au moins je serai à l’air libre. Si mes symptômes reviennent, je pourrai m’asseoir n’importe où à n’importe quel moment. Commence alors une longue expédition. Ce trajet d’un peu moins de 3 km, que j’ai fait des dizaines de fois à pied, me parait cette fois-ci interminable. Musique rock dans les oreilles pour me donner de l’allant et de la rage, j’avance doucement. Chaque pas est un pas en moins à faire. Ma seule conviction c’est que je dois rester en mouvement. Si je m’arrête qui sait si je pourrais repartir. Comme je connais le chemin par cœur, chaque néon, magasin et restaurant me permet de voir ma progression. Cela m’encourage à poursuivre. Et puis, au bout d’un certain temps, je passe les portes du Citrus. Quand je suis dans l’ascenseur, je croise mon reflet dans le miroir, j’ai l’air d’un cadavre. Je retrouve mon lit avec une joie immense. Je m’endors tout habillée en quelques secondes en sachant que demain je vais à l’hôpital pour faire des examens.
Comme prévu, je me rends à Bumrungrad pour rencontrer un médecin généraliste. Comme d’habitude, avant la consultation, une infirmière me prend mon rythme cardiaque, trop élevé, car je ne suis pas en train de courir un sprint, et ma tension artérielle, trop basse comparativement à la normale. Lorsque j’explique les événements de la veille au médecin, il me demande de faire immédiatement une prise de sang et de revenir le voir dans 2 h. À la lecture des résultats, pour lui, le diagnostic est simple. Je suis anémiée. Cela n’a rien d’étonnant compte tenu de tout ce que j’ai vécu ces derniers mois. Ainsi, il me prescrit une liste de compléments alimentaires plus longue que mon bras pour trois mois : calcium, fer, vitamines B9, B12, C, D, ginseng, potassium, magnésium, zinc, cuivre, oméga 3…. Bref, je pourrais ouvrir une pharmacie si le cœur m’en dit. Dans tous les cas, il est confiant, ce n’est rien de grave. Je dois retourner le voir fin novembre pour faire le point.
Cependant, depuis que j’ai eu ce quasi-malaise, je suis inquiète de me promener trop loin du Citrus, de prendre le métro… Je crains que cela ne survienne à nouveau et d’avoir moins de chance. J’ai peur de tomber et de me blesser. Pour la première fois, je maudis ma solitude. Cet épisode étant traumatisant, je souhaite avoir un second avis. Je profite de mon rendez-vous hebdomadaire avec le Dr P., le 26 octobre, pour évoquer avec elle ce qu’il s’est passé et le diagnostic donné. Si elle me confirme que la prise de compléments est une bonne chose, elle n’adhère pas à la théorie du médecin généraliste. Aussi, elle me recommande vivement de rencontrer dans les tout prochains jours un gastro-entérologue, une endocrinologue et un cardiologue. Elle suspecte des possibilités beaucoup plus graves qu’une simple anémie. Elle envisage de potentiels cancers ou maladie cardiaque. Elle demande donc à son assistante de fixer les rendez-vous au plus vite.
Lorsque je sors de son bureau, après cet échange et ma douloureuse séance d’acuponcture, je suis explosée physiquement et psychologiquement. Je me bats déjà au quotidien avec mon dos, mes vis que je sens dès que je m’adosse à un siège, la souffrance quasi permanente. Comment vais-je réussir à affronter cette potentielle nouvelle épreuve ? Pour aujourd’hui, pas de promenade, je vais me terrer dans mon lit et pleurer. Lorsque j’étais petite, j’avais l’habitude de me réconforter en serrant tout contre moi ma peluche préférée, une panthère noire nommée Bagheera. Là, je suis seule. Personne n’est présent physiquement pour me prendre dans ses bras et je n’ai même pas de « doudou ». Mes pleurs redoublent face à cette cruelle situation.
J’informe « Marsouin » et « Colibri » que j’ai de nouveaux examens à passer, mais j’évite soigneusement d’évoquer les éventuels mauvais augures. En revanche, je raconte tout à Rhiannon d’IMG qui doit valider la poursuite de la prise en charge des frais médicaux. Je partage également avec mon « Mage » mes craintes, mon angoisse, la solitude, le manque de Bagheera en de telles circonstances. Comme toujours, il m’écoute, il m’apaise. Le pire n’est pas forcément obligatoire. Il faut affronter les consultations les unes après les autres. Il sera temps d’aviser une fois que les résultats seront clairs. Pour Bagheera, elle ne peut se téléporter instantanément à Bangkok, mais peut-être que je peux lui trouver ici un copain qui viendra compléter un jour ma collection de peluche à Paris. Ce sera ma mission pour le lendemain.
C’est chez Toys R Us que je le vois. Sa frimousse adorable et souriante, sa langue toute rose, sa taille à minima de 1m20, sa couleur caramel et son moelleux font immédiatement fondre mon cœur. Il s’agit d’un gros chien tout plein d’amour à donner et qui n’attend que moi. Cela ne sert à rien de chercher plus longtemps. Je l’adopte tout de suite ! Et son nom est évident : ce sera « Super Toutou ». J’ai bien besoin de la force d’un super héros pour combattre les épreuves à venir.
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À peine rentré au Citrus, « Super Toutou » trouve sa place sur mon lit et dans mes bras. À son contact, mon âge est divisé par 10. Je retrouve la joie simple et le réconfort de mes 4 ans lorsque tous mes soucis pouvaient se résoudre grâce à un énorme câlin avec une peluche. Et sa magie ne se limite pas à cela. Il me redonne courage et espoir. Il me permet de voir à nouveau le verre à moitié plein et de croire en la vie. Les médecins effectuent leur travail, ils envisagent le pire. Ils essaient de tuer une mouche avec un bazooka, mais cela ne signifie pas que cette pratique soit la meilleure, d’autant plus qu’on ne sait même pas s’il y a une mouche sur la table. Ainsi, « Super Toutou » me pousse à examiner ce qui me procure de la joie, car c’est l’unique thérapie qui vaille. Je l’écoute religieusement.
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Qu’est-ce qui m’apporte du bonheur ? Tant de choses. Alors je cherche quelque chose d’exceptionnel. Je décide de prendre demain des photos de nuit en haut du Sky Bar, l’un des rooftop les plus beaux et les plus connus de Bangkok. Ce lieu est prestigieux et raffiné… Cela mettra un peu de beauté dans mon monde de brutes.
Le 29 octobre vers 16 h, je quitte le Citrus direction le Sky Bar. Je suis sur mon 31, maquillée et une paire de chaussures à petits talons dans mon sac à dos. Le Sky Bar a un dress code très select et je ne veux pas risquer d’être refoulée. Mais pour m’y rendre, mes bonnes vieilles tongs sont beaucoup plus confortables, d’autant plus que j’ai pratiquement une heure de trajet en métro. À noter que le maquillage et les chaussures ont été achetés exprès pour l’occasion. Cela fait des mois, pour ne pas dire plus, que je n’en ai pas l’utilité.
Par ailleurs, pour éviter de me sentir mal ou épuisée, je n’ai rien fait ou presque de la journée. Je mets toutes les chances de mon côté pour pouvoir profiter du coucher du soleil en cet illustre lieu.
Au pied de l’hôtel de luxe le Lubua de la State Tower, j’entre dans un univers somptueux. J’ai l’impression d’être Cendrillon se rendant au grand bal. J’écarquille les yeux devant tant de beauté. La décoration est choisie avec finesse et bon goût. Le personnel est d’une élégance et d’une grâce inouïe.
J’atteins le 64e étage et la vue sur Bangkok à 250 mètres de hauteur est à couper le souffle. Le soleil est au rendez-vous, il commence à peine sa descente offrant un sublime scintillement sur le Chao Praya. Mon appareil photo à la main, je commande un cocktail pour que ce moment soit parfait. Bercée par un talentueux orchestre de Jazz, je cherche à saisir chaque instant, chaque détail. J’essaie de fixer sur ma rétine et ma pellicule numérique cet instant d’éternité magique.
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Mais tout d’un coup, les mêmes symptômes que ceux survenus dans le métro il y a une dizaine de jours apparaissent de manière beaucoup plus violente. J’ai en plus des engourdissements dans les membres et je ne sens quasiment plus mes mains. Encore quelques secondes et je vais m’écrouler. Il y a urgence ! Alors, je saisis un serveur au vol. Je lui dis que je me sens très mal et que j’ai besoin de son aide. Il prend mon sac, mon appareil photo et appelle une deuxième personne. M’encadrant, chacun me soutient par un bras pour éviter de chanceler et tomber. Ils me dirigent vers une table à l’écart et ils m’assoient en m’allongeant les jambes. Très rapidement, on m’apporte de l’eau, des linges humides et l’un des deux serveurs reste à mes côtés en me serrant la main. Tel un secouriste, il évalue la situation, me questionne et vérifie mon état de conscience, de lucidité voire de sobriété peut-être. Je lui explique une partie de mon histoire. Il compatit et continue à me tenir la main en s’installant à ma gauche. Il attend que la crise passe et que mon teint cadavérique redevienne un peu plus humain. Je ne sais combien de temps cela dure, mais longtemps. Puis, quand je me sens en capacité d’être seule à ma table, je le remercie et je le laisse retourner à son travail.
Mon rythme cardiaque descend lentement. Au plus fort, au lieu de mon classique 70 battements par minute, mon pouls était à 145 alors que je ne faisais aucun effort physique. De même, ma respiration retrouve un cycle long. Je ne suis plus en train de suffoquer. Je retrouve au fur et à mesure un état et des constantes stables. Cependant, je sais que cette fois-ci cela va nécessiter beaucoup plus de temps pour que je sois capable de retourner au Citrus. Je suis dans de sales draps. Je suis vraiment loin. Impossible de rentrer à pied. Impensable d’attraper un taxi, car les mêmes symptômes de bouffées de chaleur, nausée, vertiges se déclenchent quand je suis dans une voiture. Il faudra que je prenne le métro. Mais, pour l’heure, je ne suis pas opérationnelle. Je dois attendre.
Je me focalise sur le beau : la vue, l’élégance du lieu… cela m’apaise. Mon esprit vagabonde ainsi entre joie et angoisse. Au bout d’un moment, une unique certitude, je ne peux pas faire le chemin du retour toute seule. Alors, je prends mon téléphone et je passe un coup de fil à un ami. Je lui explique la situation et lui demande de rester en ligne avec moi jusqu’au moment où j’aurais atteint mon lit. En tout et pour tout, cet appel dure plus de deux heures et demie. C’est le temps nécessaire pour que je sois capable de : me lever, payer, sortir du Sky Bar, marcher jusqu’au métro, faire les 9 stations et un changement, prendre la rue « Sukhumvit 11 » et enfin rejoindre ma chambre. J’évite soigneusement de croiser mon reflet dans le miroir. Je sais que je suis une morte vivante. Quand je raccroche, je suis, au sens propre et au sens figuré, à terre. Je suis heureuse d’être rentrée saine et sauve chez moi, mais je suis maintenant convaincue qu’il y a quelque chose qui cloche. Tout ceci n’est pas lié à une simple anémie.
Le lendemain, je reste blottie contre « Super Toutou » sous la couette. Je ne veux et je ne peux pas sortir. Je suis trop effrayée ! Rhiannon m’appelle justement ce jour-là pour avoir de mes nouvelles. Je lui raconte, à moitié en pleurs, les événements de la veille. Je lui parle de mes angoisses, de mes peurs… Au regard de tous ces éléments, elle m’écrit deux heures plus tard pour me dire qu’IMG prendra en charge tous les frais médicaux basiques pour comprendre d’où proviennent ces malaises. Elle m’encourage à passer au plus vite tous les examens identifiés par les médecins.
Le 2 novembre, je commence mon semi-marathon avec un gastro-entérologue. Radiographies et échographies sont au programme. Il envisage d’effectuer une endoscopie, mais il souhaite que mes consultations avec l’endocrinologue et le cardiologue aient eu lieu préalablement. Je vois donc le même jour l’endocrinologue. Au regard de la situation, elle soupçonne deux potentiels types de cancers. Je réalise ainsi en urgence une batterie de tests sanguins pour déterminer si c’est le cas. Puis, elle me donne rendez-vous dans 48 h pour la lecture des résultats. Quand j’y retourne, tous les bilans sont normaux. Elle me transfère dans la foulée chez le cardiologue.
Sans vraiment s’intéresser aux événements passés et à mes symptômes, il veut me soumettre à l’examen de la table de tilt dont l’objectif est de déclencher un emballement cardiaque jusqu’à la syncope. Réjouissant, non ? Mais avant toute chose, il effectue une échographie pour vérifier qu’il n’y a pas de malformations ou de problèmes qui feraient que je ne serai pas apte à supporter ce test. Au regard des images, il est inquiet. Le ventricule gauche se contracte moins bien que le droit. Il faut donc réaliser un scanner coronaire au plus vite. Sans attendre l’aval d’IMG pour la prise en charge de cet examen onéreux, je valide le premier créneau possible le lendemain.
Je suis morte de trouille. Jamais je n’avais imaginé, y compris dans mes cauchemars les plus noirs, être un jour dans cette situation-là à mon âge. Je crains les potentielles conséquences. J’envisage le pire, mais j’évite soigneusement d’effectuer des recherches sur Google. Cela ne ferait que renforcer ma parano. Personne, même pas mon « Mage », « Marsouin », « Colibri », ou « Super Toutou » n’arrive à me calmer. Je suis totalement anéantie.
Cependant, pour essayer de me rasséréner et rationaliser la situation, « Marsouin » et « Colibri » contactent un de leurs amis, cardiologue en retraite à Paris. Ils lui exposent les faits, lui transmettent les comptes-rendus des examens passés, l’interrogent sur la table de tilt… Selon lui, c’est le processus standard d’investigation. Effectuer ces examens n’est pas un mauvais présage. Ça ne sera pas invasif ou douloureux. Je peux y aller sereine. Alors, même si je ne peux pas fermer l’œil de la nuit, je décide de faire confiance aux sachants. Et cela commence par rassembler mes forces et mon courage pour affronter la journée qui arrive.
Effectivement, passer un scanner coronaire n’a rien de traumatisant. C’est comme une radio ou une IRM. Cependant ce qui est difficile, ce sont les 48 h d’attente pour obtenir les résultats. Durant ces 2 880 minutes, à l’exception de mes séances de physiothérapie et d’acuponcture qui continuent inlassablement, je reste cloitrée avec « Super Toutou ». Je crains de m’éloigner du Citrus et de Bumrungrad. Je ne veux parler à personne. J’angoisse de tout et plus encore.
Enfin, l’horloge sonne 10 h le 7 novembre. Il est temps que je retourne voir le cardiologue. Bonne nouvelle ! Au scanner, tout est normal ! Alors sans attendre, il me dit « En piste, allez-vous préparer pour l’examen de la table de tilt ». Ce médecin est aussi empathique et compréhensif qu’une pierre ! Certes, son travail est de sauver des vies, mais cela n’empêche pas un peu de psychologie. Dans son cas, si ! Le seul mérite de ce marathon cardiaque, c’est que je n’ai pas le temps de réfléchir. Alors, je suis l’aide-soignante, je me change et en avant.
Quand j’arrive dans la salle d’examens, je m’allonge sur la grande table. J’ai Baloo dans ma main. Il sera mon soutien émotionnel durant toute cette épreuve. Les infirmières me posent une perfusion, plus d’une dizaine d’électrodes et un tensiomètre automatique au bras gauche. Puis elles serrent les sangles situées au niveau des pieds, des jambes, du bassin, du thorax et des mains afin que je ne puisse littéralement plus bouger. On m’explique ensuite la méthode dont l’objectif est de me faire perdre connaissance.
- Rester allongée à l’horizontale (0°) pendant une dizaine de minutes pour que les constantes au repos puissent être observées.
- Être basculée dans une position à 30° verticale, avec la tête en haut, pendant 2 à 3 minutes
- Poursuivre à 45° verticale pour la même durée
- Tenir à 70° verticale jusqu’à la syncope
En complément, mon rythme cardiaque est enregistré en continu, ma tension est prise toutes les minutes puis toutes les trente secondes en fonction de l’évolution de la situation. Enfin, si je ne tombe pas dans les pommes assez rapidement, on m’informe que je devrai avaler un médicament qui favorisera l’emballement du cœur.
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Sympa, le programme ! Qu’en pensez-vous ?
Les trois premières étapes sont faciles. Je comprends pourquoi l’ami cardiologue de « Marsouin » et « Colibri » me disait de me tranquilliser. Et commence la 4e phase. Pour citer une réplique d’un film culte des années 90 : « C’est l’histoire d’un homme qui tombe d’un immeuble de cinquante étages. Le mec, au fur et à mesure de sa chute se répète sans cesse pour se rassurer : jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien. Mais l’important c’est pas la chute, c’est l’atterrissage. » Et bien, ce mec, c’est moi.
Les quatorze premières minutes à 70°, je tiens. Je me concentre sur ma respiration. Je ne veux pas leur faire le plaisir de perdre connaissance et de m’écraser au sol. C’est un combat interne entre ma tête et mon corps. Pour le moment, c’est le mental qui mène au score. Aussi, à la 15e minute du match, le médecin, trouvant que je ne syncope pas assez rapidement, me donne le fameux médicament. Et là, c’est le début de l’enfer sur terre. Je commence à avoir les premiers symptômes : bouffées de chaleur, mal de tête, nausée, vision trouble… J’ai également des engourdissements dans les mains à tel point que je crains de ne plus pouvoir tenir mon Baloo. Dans la vie réelle, quand vous vous sentez mal ou inconfortable, vous changer de position. Là, ficelée de toute part à cette maudite table, il m’est impossible d’effectuer le moindre mouvement. Je ne peux que subir encore et toujours des symptômes de plus en plus violents. J’en hurle à la mort, je pleure de douleurs, je supplie d’arrêter le test, mais comme je ne perds pas conscience, on continue. Mon cœur bat à tout rompre. Je perds au fur et à mesure toutes les forces de mon corps. Étant attachée, je ne peux m’affaler, mais je sens bien que mes jambes ne me portent plus. Je suis cependant toujours consciente, alors on poursuit… À la 23e minute, encore lucide, j’ai la tension artérielle limite de 7.4. L’examen doit être stoppé. Si on va au-delà, cela pourrait être dangereux ! Cette fois, on me bascule immédiatement de manière à avoir la tête en bas et les pieds en l’air. Il faut irriguer le cerveau. Je suis une épave et c’est un euphémisme. Je viens de vivre une véritable séance de torture tant physique que psychologique.
Le médecin me laisse cinq petites minutes pour récupérer. Et alors que les infirmières s’affairent toujours à me débrancher, à me consoler, à essuyer mes larmes…, il m’informe satisfait : « le test est positif ! Vous souffrez d’hypotension orthostatique. Il n’y a pas de traitement. Seul le temps améliorera les choses, mais de là à vous dire quand vous irez mieux, je ne peux pas. Votre chute qui a causé la fracture de votre vertèbre devait être le premier épisode de ce trouble. Maintenant, faites attention ! Vous avez eu de la chance avec votre dos. Vous auriez pu tomber sur la tête et mourir. Imaginez que vous soyez dans la rue et que cela vous arrive… »
N’en jetez plus la coupe est pleine. On ne s’acharne pas sur un boxeur quand il est KO ! Alors, pitié, faites-le taire ! Je lui fais signe que j’ai compris et il s’en va. Les infirmières terminent de me libérer de tout l’attirail médical et m’obligent à boire des jus, dégueulasses, mais sucrés, pour que je reprenne des forces. Quand je suis prête, je me lève, je vais me changer et je rentre au Citrus tel un zombie pour rejoindre « Super Toutou ». À chacun de mes pas, j’ai maintenant le sentiment d’avoir une épée de Damoclès qui peut s’abattre sur moi à n’importe quel moment.
Après avoir retrouvé le confort de ma couette et « Super Toutou », je dois appeler « Marsouin » et « Colibri ». Ils attendent avec impatience les résultats. Je ne peux les laisser dans l’incertitude plus longtemps. Toujours dans un état émotionnel plus que fébrile, je prends donc mon courage à deux mains. Je dois commencer par le positif : « Bonne nouvelle ! Mon cœur va bien ! En revanche, je souffre d’hypotension orthostatique. » Naturellement, ils souhaitent en savoir plus et notamment connaitre comment s’est passé le « tilt test ». « Il n’y a que ceux qui n’ont pas ce trouble ou ceux qui ne l’ont jamais expérimenté qui trouvent cela facile. Pour tous les autres dont je fais dorénavant partie, c’est une torture indescriptible et traumatisante ! » À la fin de cette phrase, je suis indubitablement en larmes, serrant le plus fort que je peux « Super Toutou » tout contre moi pour qu’il me transfère un peu de son pouvoir de superhéros. Mais rien n’y fait, je suis terrassée par cette expérience. À ce moment précis, et pour la première fois, j’aurais tout donné pour être ailleurs. Alors, il va falloir trouver une option si je ne veux pas terminer cloitrée toute ma vie. Peut-être dois-je porter en plus de mon armure, un casque de moto sur la tête à chaque fois que je sors ?
Pour l’heure, toute perspective de monde extérieur est insurmontable. Jamais plus je ne quitterai cette chambre ! Mais, par chance, des anges veillent sur moi afin que je ne sombre pas totalement. Cette fois, leurs présences se concrétisent par un ami du Vietnam, Nico, que je n’ai pas vu depuis près de deux ans. Il est à Bangkok depuis quelques jours. Il me propose qu’on aille boire des bières, cela me changera les idées ! Et je crois qu’effectivement, c’est la seule solution envisageable. Outre le fait de retrouver un pote, il faut que je sois vivante et non l’ombre de moi-même, terrifiée par un trouble. Je ne peux pas et surtout je ne veux pas me limiter à cela.
La soirée est revigorante. On se rappelle le bon vieux temps : Nguyen et sa famille. Tam Ky, Da Nang… On rigole beaucoup, pratiquement autant que l’on s’enivre. Je me rends compte à quel point j’avais besoin de cette simplicité, de cette joie insouciante et de lâcher-prise. La pression, le courage et les peurs constituent ma vie depuis plus de trois mois maintenant. Ce soir, c’est relâche et j’oublie tout. Ça fait un bien fou !
En rentrant au Citrus, je sais que je dois à Nico une fière chandelle. S’il ne m’avait pas incitée inconsciemment à sortir de ma torpeur, qui peut dire combien de temps je me serais auto-confinée.
Cependant, au réveil le lendemain, les avertissements du cardiologue et les angoisses associées pointent de nouveau le bout de leur nez. En plus, mon dos me fait souffrir. Je paie la facture d’avoir passé des heures assises à boire des coups. Tout acte entraîne des conséquences…
Par chance, j’ai ma séance de physiothérapie aujourd’hui et j’ai aussi une consultation avec le Dr P. Cela me force à sortir de ma chambre. Je pourrais également évoquer avec le Dr P., qui joue un rôle de mère de substitution, le diagnostic du cardiologue et mes angoisses. Quand elle me voit complètement défaite, elle s’inquiète. À moitié en pleurs, je lui raconte tout. Elle s’insurge sur le manque de tact du cardiologue. Ensuite, elle me rassure. Je n’ai pas besoin de porter un casque de moto dès que je sors. Je saurai identifier les signes avant-coureurs et définir la bonne attitude à avoir. Effectivement, le « tilt test » est éprouvant, mais ce n’est pas le reflet de la réalité. Quand on se sent mal, on trouve le moyen d’agir pour que cela n’empire pas. Elle me rappelle que je l’ai toujours fait. Il faut donc que j’aie confiance en moi, en mon corps, en mes sensations et tout ira bien. Ses paroles m’apaisent et je suis prête à affronter avec sérénité mes séances de « Docteur Maboul » et de « où est Charlie ». Quand on a survécu au supplice du « tilt test », quelques aiguilles et des exercices de musculation, c’est un jeu d’enfants !
Ayant besoin d’un avis médical en français, je parle aussi des examens, de mes questionnements et de mes peurs à l’ami cardiologue de « Marsouin » et « Colibri ». Il me confirme qu’on ne sait pas pourquoi ce trouble d’hypotension orthostatique apparait ni quand et comment il disparait. Il sera temps de faire de nouveaux bilans de santé dans deux mois si la situation ne s’est pas améliorée d’elle-même. Mais pour l’heure, il m’exhorte à vivre, et ce, sans casque de moto vissé en permanence sur ma tête. Le bonheur, la joie, le calme sont parfois les meilleurs traitements dans ce cas.
Je reprends donc doucement mon train-train de marche, de crawl, de kiné et d’acuponcture. Bien que j’aie toujours régulièrement des vertiges et tous les symptômes associés, avec le temps, l’angoisse générée par le « tilt test » s’évapore. Tout comme les douleurs quotidiennes liées à mon dos, j’arrive à affronter ces situations et à réagir correctement.
Alors, fin novembre, près de quatre mois après l’opération, je me dis que c’est le bon moment pour faire une pause avec Bumrungrad, les physiothérapeutes, les aiguilles, le Citrus et Bangkok. Un changement de cadre sera peut-être bénéfique pour que je poursuive ma convalescence en toute quiétude. Avec cette idée, je cherche un lieu accessible facilement, pas trop loin de Bangkok en cas de problème, pas trop isolé et au bord de la mer.
Compte tenu de toutes ces contraintes, je décide d’aller à Ao Nang, à côté de Krabi. C’est à une heure d’avion. Je considère que cela sera plus aisé à gérer que deux ou trois heures de voiture. En plus, j’ai des connaissances du Vietnam et du Cambodge qui seront aussi dans ce coin-là pour la fin d’année. Retrouver du monde me fera peut-être du bien. Cependant, avant d’acheter mes billets, je demande l’aval aux Dr S. et au Dr P. Tous deux valident le déplacement si je reste prudente et raisonnable. Cela signifie que j’ai une interdiction formelle de faire de la randonnée, des excursions trop longues, de prendre le bateau, de nager dans la mer et par conséquent de faire de la plongée sous-marine. Peut-être, en mars ? Je croise les doigts.
En attendant, je décolle pour Krabi, le 11 décembre 2022 à 18 h 40. En route pour de nouvelles aventures, j’espère que le meilleur est à venir sans souffrances ni angoisses.