Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas…
Début juillet, après une période d’inquiétude et de questionnement, je suis gonflée à bloc. Mon ardeur et mon élan sont à leur comble pour entreprendre, à minima, une dernière aventure vietnamienne. Avec mon complice d’investigations, Pascal, le rendez-vous est pris le 7 juillet à Tam Thanh pour définir nos prochains road trip et identifier nos sujets de publication.
Certes, jusqu’à présent nos tentatives de reportages, en mai, dans le Nord, pour 5/6 semaines puis dans le Sud, en juin, pour une vingtaine de jours, sont tombées à l’eau. Mais, on n’a pas dit notre dernier mot ! On ne peut pas passer par la porte ni par la fenêtre. Ce n’est pas grave, on va tester par la cheminée !
Notre nouveau plan est donc de se limiter à notre province : le Quang Nam. En moins de 48 h, on a déterminé notre itinéraire d’une petite dizaine de jours, nos sujets, nos besoins d’interprètes… On va découvrir le pays des fées ainsi que des tunnels et des bases militaires de la guerre du Vietnam. On prévoit de rencontrer des pêcheurs et des agriculteurs de café, de cannes à sucre, de cannelle… Bref, on est prêts à partir dès le lundi 12.
Cependant, une fois de plus, dès que l’on définit un programme, une embûche nous barre le chemin. Depuis le 29 avril 2021, l’obstacle est de taille. Il porte le petit nom de « vague 4 — Covid 19 ».
Contrairement aux trois derniers épisodes, aucune solution ne semble enrayer la propagation du virus. En quelques jours, plus de mille cas quotidiens sont détectés. Hô Chi Minh City, Hanoi, Da Nang… se ferment. La population est de plus en plus inquiète. Cette situation nous est malheureusement confirmée le week-end avant notre départ. Pascal, sa femme, qui est pourtant d’origine vietnamienne, et leurs enfants, se voient refuser plusieurs fois le droit de séjourner dans des guest houses. De nouveau, les Vietnamiens regardent les blancs et les étrangers avec frayeur. Il n’est donc pas raisonnable de bourlinguer. Où que l’on se rende, on va trouver porte close et générer inutilement de la terreur dans la communauté vietnamienne.
À contrecœur, mais logiquement, on annule. On accuse le coup. Mais qu’à cela ne tienne : l’entrée principale, la lucarne, le tuyau de l’âtre ne passent pas, essayons la souricière ! Peut-être peut-on initier nos projets localement sans road trip ni voyages. Pour cela, on doit changer de braquet. On ne pense plus en mois, ni en semaines ni en jours, mais en heures.
Nos cerveaux se mettent immédiatement en ébullition. On a des idées à profusion ! À Hoi An, à Tam Ky, tant de choses sont encore possibles ! Au lieu de planifier, il suffit de prendre le covid par surprise !
On choisit donc deux sujets pour lesquels on connait les interlocuteurs : l’un sur la fabrication des nattes et l’autre sur la culture des cannes à sucre au Vietnam. On prépare nos interviews, les storyboards pour les vidéos de Pascal. On sait qu’il s’agit d’une course contre la montre afin que l’on puisse écrire et tourner avant que cet accès nous soit, lui aussi, impossible.
L’urgence libère une imagination créatrice incroyable. En peu de temps, on a tous les éléments dont on a besoin. De plus, les protagonistes sont enthousiasmés par les reportages que l’on souhaite réaliser : mettre en valeur leur travail et leurs traditions. Mais, car dans cette histoire il y a beaucoup de « mais » : le covid vient frapper aux portes de Hoi An. Au moment où on démarre, ça déraille. L’annonce dans les haut-parleurs et sur Facebook est faite. Il y a plusieurs cas sur Hoi An. Toute la population est invitée à rester chez elle et les magasins non essentiels ferment dès le soir même.
Une nouvelle fois, la mort dans l’âme, on reporte nos plans pour la tranquillité d’esprit et le bien de tous. Autour d’un dernier café ensemble, on serre les dents, on flanche puis on se redresse. Avec beaucoup de second degré et un peu d’humour noir, on imagine une vidéo à la Charlie Chaplin ou à la Benny Hill enchaînant les gags dus à la situation. Elle pourrait s’appeler les aventures avortées de Pascal et Baloo.
Là encore, impossible de la réaliser. On est invités clairement à nous mettre en quarantaine sans aucune information concernant la durée de cette nouvelle phase.
J’ai quitté Da Nang début juillet pour Tam Thanh afin de pouvoir être libre de bouger dans le Quang Nam. J’ai maintenant le sentiment d’être dans la scène où Antoine Maréchal voit sa voiture percutée par Léopold Saroyan. « Elle va marcher beaucoup moins bien forcément. »
Rentrer à Da Nang, trouver un appartement pour quelques semaines à Hoi An ou rester à Tam Thanh, ma seule option est de choisir ma résidence de confinement. J’analyse chacune de ces trois options. Aucune n’est optimale :
- Da Nang : je suis cloitrée chez moi pour une durée indéterminée sans possibilité de sortie. Au moins, la situation est claire. Aucun projet ne sera envisageable. Un objectif : tenir !
- Hoi An : je suis enfermée dans un lieu avec piscine. Mon complice et des amis seront dans les parages. Cependant, en quoi cela change-t-il la donne si je suis isolée dans un endroit que je ne peux appeler « maison » ?
- Tam Thanh : c’est mon paradis perdu avec Nguyen, Trang et les enfants. Je serai dans la nature, près de la mer avec ma famille d’adoption et mes chiens. Je ne serai pas séquestrée entre quatre murs. Mais tout bout du monde quand il dure trop longtemps peut ressembler plus à un enfer qu’à un éden.
Aveuglée par ma colère d’avoir tant de desseins irréalisables, d’avoir à affronter depuis tant de mois des épreuves imprévisibles, je perds pied. Je suis dans un labyrinthe : il n’y a pas de sortie. J’essaie d’en créer une à la machette, sans succès. Frustrée, dépitée, exaspérée, je prends la décision pragmatique que je juge la moins pire : je reste à Tam Thanh.
Les jours qui suivent, je me laisse couler. Je sais profondément que lorsque je serai au fond, je remonterai. Je m’abreuve de Netflix et de scénarii catastrophes américains. Avez-vous remarqué comme cela peut être réconfortant ? Les gentils gagnent toujours quelle que soit la situation. S’ils le peuvent, pourquoi pas moi ?
Comme prévu, après 72 h, je rebondis. Il demeure une option : préparer l’avenir en visio ! Fière de mon idée, j’écris un message à mon complice : « Rendez-vous demain à 9 h ». Mais, quand ça ne veut pas, ça ne veut pas… Panne de courant pour la journée. Mon acolyte est injoignable.
L’univers m’enverrait-il un signe qu’il est temps de laisser tomber et d’arrêter de combattre ?
Or, à chaque fois qu’une situation me parait sans issue, des anges interviennent. Cette fois-ci, ils m’adressent :
- Un message :
« Tous les matins, on a une mission. Trouver la gaité au milieu des raisons de désespérer. La beauté au milieu des laideurs. La gentillesse au milieu des visages fermés. Les caresses au milieu des griffes. L’ouverture au milieu des fermetures. Si vous acceptez cette mission, la journée sera magnifique. Si vous la refusez, allez vous recoucher tout de suite ! ». Édouard Baer
- Une prière apache :
« Puisse le Soleil t’apporter chaque jour une nouvelle énergie. Puisse la Lune chaque nuit te ressourcer pleinement. Puisse la Pluie te laver de tous tes soucis. Puisses-tu marcher paisiblement à travers le monde et apprécier tous les jours la Beauté de la Vie ».
- Des photos de lavandes et de licorne
- Un extrait de texte :
« Descendez-en vous-même. Cherchez d’où vous vient ce besoin d’écrire ; sentez s’il plonge ses racines au plus profond de votre cœur. Confessez-vous ; n’aurais-je plus qu’à mourir si l’on m’interdisait d’écrire ? Ceci surtout : à l’heure la plus silencieuse de votre nuit : demandez-vous : “Est-ce que je DOIS écrire ?” Creusez jusqu’au tréfonds de vous-même pour y trouver une réponse. Et si cette réponse sonnait comme un “Oui”, si vous pouviez accueillir cette grave interrogation d’un “Je le dois” dite avec force et simplicité, bâtissez votre vie selon cette force inéluctable. Votre vie doit devenir, jusqu’à son heure la plus indifférente, la plus creuse, signe et témoignage de cette impulsion profonde. » Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke
Alors, comme dit l’adage de Philippe Labro « tomber sept fois se relever huit », il ne me reste plus qu’à remonter en selle. En plus, je n’en suis pas à ma septième chute…
Le lendemain, l’électricité est revenue. La visio fonctionne. On peut préparer, rêver, imaginer. Je peux laisser libre cours à mes envies de devenir reporter au Vietnam pour un temps donné. Mais, l’avenir demeure incertain. Je ne sais quand cette vague terrible sera canalisée ni pour combien de mois mon visa pourra être prolongé. À minima, pour août, tout va bien. Alors, une nouvelle fois, j’apprends à apprécier l’instant sans regret ni espoir inconsidéré.
Nous sommes le 5 août, je suis à Tam Thanh. Pour une durée inconnue, je ne bouge pas, confinée les pieds dans l’eau. Aussi si vous souhaitez que j’écrive sur un sujet particulier, n’hésitez pas à me faire part de vos idées.
Dans cette attente, bonnes vacances, profitez du moment et surtout prenez soin de vous.