Vietnam

Et 1, et 2, et 3… confinements

Et 1, et 2, et 3 — zéro… Pendant deux décennies, la seule évocation de cet hymne représentait la superbe victoire de la France en 1998 lors de la coupe du monde de football contre le Brésil. Depuis, autre temps, autre contexte. Nous comptons tous depuis mars 2020, nos confinements.

Depuis le 3 mai 2021, j’entame mon troisième voire mon quatrième, si je prends en considération mon sentiment d’emprisonnement et de frayeur lors des typhons de l’année dernière. Et celui-ci génère aussi son lot d’aventures. Pourtant, tout commençait plutôt bien.

Tout d’abord, je me suis habituée à me réinventer. Cette fois encore, j’avais prévu de partir avec un ami en road trip à moto le 7 mai pour quatre ou cinq semaines. Depuis Da Nang, on voulait longer la frontière laotienne puis celle chinoise. C’était un voyage de près de 3000 kilomètres qui nous faisait rêver depuis quelque temps.

Mais, dès les premiers signes, les premiers cas, on sait que les restrictions ne vont pas tarder. Aussi, on ne tente pas le diable. On annule tout. On sort masqués. On ajoute dans nos sacs les gels hydroalcooliques pour nous badigeonner les mains à chaque occasion possible. Tous les haut-parleurs de la ville et des magasins diffusent la chanson phare du Vietnam de lutte contre le covid. On limite nos déplacements au strict nécessaire. On se met, avant même que le gouvernement n’intervienne, en auto-quarantaine. Bref, on reste chez nous pour protéger la communauté. C’est assez impressionnant, en un peu plus d’un an, les nouvelles habitudes que nous tous avons prises. Abandonner tout projet, être capable de se renouveler mille fois, accepter l’enfermement, vivre autrement pour le bien de tous.

Par ailleurs, cette fois-ci, je suis dans mon appartement à Da Nang. De plus, j’ai acquis il y a peu un transat. Mon studio de 35 m2 a maintenant une pièce additionnelle et ça me change la vie. Comparativement à ma chambre d’hôtel à Kon Tum où je faisais du camping sauvage à l’intérieur, quelle montée en gamme ! Je suis également libre de me préparer autre chose que des nouilles instantanées comme ce fut le cas là-bas. La joie des petites choses fait toute la différence : pouvoir manger frais, faire une lessive autrement que dans un lavabo, ne plus avoir uniquement la compagnie d’insectes rampants.

De même, à l’inverse du second confinement que j’avais vécu comme une déferlante ingérable, j’aborde la situation beaucoup plus sereinement. J’ai du travail et des projets au Vietnam. Un certain nombre d’articles à écrire pour des clients et des explorations à venir qui nécessitent des recherches. Cela donne un but à mes journées et des perspectives pour l’année prochaine.

Aussi, tout aurait pu se passer sans encombre et confortablement si cette vague avait été identique aux autres. S’il n’y avait pas eu des problèmes grandissants de visa. Si mes amis, connaissances et étrangers sur les groupes Facebook sur place, n’avaient pas été pris d’angoisses terribles. Mais ainsi va la vie. Rien ne se déroule jamais comme prévu.

L’onde que nous affrontons au Vietnam depuis le 29 avril 2021 est la plus virulente de toutes. En quelques jours, les 2000 cas recensés lors des trois premières vagues depuis janvier 2020 sont balayés. Les chiffres grimpent à une vitesse vertigineuse, principalement dans les provinces du Nord du pays puis à Hô Chi Minh City. Deux mille, cinq mille… Nous en sommes à plus de vingt mille depuis deux mois.

Les autorités se battent sur tous les fronts pour essayer de l’endiguer, mais sans succès pour l’instant. À l’identique de la seconde vague à Da Nang en août 2020 et de la troisième dans le Nord en février 2021, le gouvernement fait le choix de fermer rapidement tous les commerces non essentiels. Il décide également de laisser à chaque province le choix de la méthodologie pour gérer la crise. Aussi, seuls des confinements régionaux ont lieu à ce jour.

De plus, cette fois, il s’agit du variant indien. Le Vietnam est dès lors classé « orange » — à risques. Depuis le début de la pandémie, c’est une première pour mon pays d’adoption de devoir faire face à une telle onde de choc du virus. L’organisation militaire ne semble pas suffisante. Peut-être parce qu’ici aussi les Vietnamiens en ont assez et ont été un peu moins rigoureux dans l’observance des mesures à suivre. Peut-être également en raison d’entrées illicites. Peut-être que ce variant est plus contagieux en sachant que seulement 1,5 % de la population est vacciné ? Cette situation inquiète, affole et en même temps, peu à peu, chacun détourne le regard des réseaux sociaux ou des informations pour ne pas tomber dans la psychose.

En parallèle ou effet papillon, le gouvernement a initié depuis début mai une chasse aux visas illégaux. Le déclencheur potentiel ? L’entrée d’Indiens et de Chinois sur le territoire avec de vrais-faux papiers. Fait aggravant : ils n’auraient pas totalement respecté les mesures de quarantaine. Comment ? Pourquoi ? Nul ne le sait. Le résultat, tel que je l’interprète, c’est que le Vietnam a souhaité rappeler que nous n’étions pas au Far West. Depuis longtemps, certains obtenaient des visas business avec des sociétés fantômes et sans travailler. D’autres, des visas d’expert, sans avoir aucune spécialité pointue. Dans tous les groupes Facebook, des annonces à gogo proposent, moyennant 3 ou 4000 USD de venir au Vietnam alors que les frontières sont fermées et les entrées triées normalement sur le volet. Aussi, un vent de panique court dans toute la communauté d’expatriés. Va-t-on être « expulsés » ? Mon visa va-t-il être renouvelé ? Que faire pour rester ?

Pour être honnête, cette situation était prévisible. Pouvait-on penser sincèrement que le gouvernement ne voyait pas toutes ces manipulations frauduleuses ? Parce que cette façon de faire avait réussi à certains, cela voulait-il dire que le Vietnam allait accepter cet état de fait dans la durée ? N’oublions pas que nous sommes dans un pays où tout se sait, tout est contrôlé. Par exemple, pour chaque cas de covid, la vie de l’individu sur les deux à trois dernières semaines est communiquée sur tout type de support et dans les moindres détails

Aussi, rumeurs vont bon train. Tout le monde connaît quelqu’un qui connaît quelqu’un qui potentiellement va se faire expulser ou dont le visa ne sera pas renouvelé. Mais personne ne sait les motifs réels.

De là, il en faut peu, pour que le vent de panique gagne les étrangers ayant un visa touriste. « On est également visé ? Pas possible qu’on soit chassés ! On contribue fortement à l’économie locale ! » Mais quel pays accepte « les voyageurs » aussi longtemps ? Cela fait près d’un an et demi que je suis ici. D’autres 20 voire 24 mois. Pensez-vous que chez nous, on aurait admis pour une telle durée des « voyageurs » asiatiques, africains, australiens, américains… ? Je n’en suis pas persuadée.

Aussi, j’essaie d’expliquer que si je dois partir, la seule chose que je dirais c’est « Merci ! Merci mille fois de m’avoir accueillie à bras grands ouverts, de m’avoir protégée. Ce n’est pas un adieu. Ce n’est qu’un au revoir. Je reviendrai quand tout ira bien. » S’ensuivent des débats stériles où chacun évoque sa peur, sa colère, sa lassitude de l’incertitude, la précarité d’être étranger. Oui, c’est un fait nous sommes des « migrants » et la situation défie nos choix de vie, nos objectifs, nos idéaux, notre philosophie. Elle nous permet de toucher du doigt dans une infime mesure, la vie de ceux qui sont actuellement détenus dans des centres de rétention dans l’attente d’un charter ou celle de sans-papiers. Elle nous rappelle notre chance d’avoir un passeport, de pouvoir partir découvrir le monde sans que rien nous y oblige et surtout l’aubaine d’avoir un toit qui nous attend.

Mais à force de faire face aux angoisses des autres et leur inlassable question, « c’est quoi ton plan B, C, D… ? » ma sérénité et mon optimiste décroissent. Alors, j’échange avec mes anges du 48. Longue discussion, riche de sens et d’amour. Ils me permettent de reposer les choses et redéfinir le cap.

Quelques jours plus tard, mon visa pour juin est renouvelé. Je jouerai à la roulette pour juillet. Je resterai tant que cela me sera autorisé. Et quand je devrai m’en aller je dirai « cảm ơn nhiều, tạm biệt và hẹn sớm gặp lại » (merci beaucoup, au revoir et à bientôt) et poursuivrai mes aventures pour quelque temps en France et en Europe. A l’inverse, nombre de mes amis à Da Nang et Hoi An décident de rentrer en France au plus tôt.

Profitant d’une accalmie de la pandémie sur Da Nang, je file me remettre de mes émotions à Tam Thanh. Grand bien me prend, quelques jours plus tard, de nouveaux cas de covid sont détectés à Da Nang. La ville doit se rendormir pour quelques semaines.

Je retrouve donc un confinement les pieds dans l’eau, loin des réseaux, en toute sérénité. Jeu du hasard, Nguyen et sa famille doivent se rendre à Hanoi. Une aventure inédite s’ouvre à moi : être gardienne du resort.

2 commentaires

  • Annick

    J’espère que ça ira et que tu pourras aller au bout de ton séjour. Ce soir ils nous annoncent la probable 4 eme vague avec le variant indien à la fin du mois… Profitons de notre liberté

    • baloo

      Je ne sais pas … Je renforce ma capacité de caméléon et de me réinventer 🙂
      Je pense très fort à toi. J’espère que tu vas bien.
      Je t’embrasse

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